Résumé juridique

CEDH, Thlimmenos c. Grèce, 6 avril 2000, n° 34369/97
Article 9 (Liberté de conscience) - Article 14 (Discrimination) - Article 6 (Durée de la procédure)

Article 14 Discrimination

Obligation pour l’Etat de traiter différemment des personnes condamnées pour des délits commis en raison de leurs convictions : violation
En fait En 1983, le requérant, témoin de Jéhovah, fut reconnu coupable d’insubordination par une juridiction militaire pour avoir refusé de porter l’uniforme à une époque de mobilisation générale. Condamné à quatre ans d’emprisonnement, il effectua la moitié de sa peine. En 1988, Il se classa second sur soixante candidats à un examen d’Etat pour la nomination de douze experts-comptables. Toutefois, le bureau compétent refusa de le nommer au motif qu’il avait été reconnu coupable d’un crime. Le requérant saisit le Conseil d’Etat, prétendant notamment qu’il avait commis une infraction de moindre gravité, mais il fut finalement débouté en juin 1996.
En droit Exception préliminaire du Gouvernement : Toute demande présentée par le requérant en vertu de la loi de 1997, qui donnait à ceux qui avaient été condamnés pour insubordination la possibilité de demander à ce qu’on leur reconnût la qualité d’objecteur de conscience et de faire effacer la condamnation de leur casier judiciaire, aurait été examinée par une commission qui conseillait le ministère de la Défense nationale, et ni cette commission ni le ministère n’était tenus d’accéder à la demande. En outre, il n’était pas possible d’obtenir réparation par cette voie. Les mêmes considérations valent pour une demande de grâce. Si tant est que l’on puisse considérer que le Gouvernement soulève une exception quant à la qualité de victime du requérant, il ne l’a pas fait au stade de l’examen de la recevabilité et est donc forclos à cet égard.

Article 14 combiné avec l’article 9 : Le requérant a fait l’objet d’un traitement différent parce qu’il se trouvait dans la situation d’une personne condamnée, et une telle différence de traitement ne tombe généralement pas sous l’empire de l’article 14, pour autant qu’elle a trait au droit à l’accès à une profession particulière, droit qui n’est pas garanti par la Convention. Toutefois, le grief du requérant porte plutôt sur le fait qu’aucune distinction n’est établie entre les personnes condamnées pour des infractions commises exclusivement en raison de leurs convictions religieuses et les personnes reconnues coupables d’autres infractions, et les faits en question relèvent bien de l’article 9. Le droit de ne pas subir de discrimination est également transgressé lorsque, sans justification objective et raisonnable, les Etats n’appliquent pas un traitement différent à des personnes dont les situations sont sensiblement différentes ; dès lors, l’article 14 trouve à s’appliquer. En principe, les Etats ont un intérêt légitime à exclure certains délinquants de la profession d’expert-comptable, mais une condamnation consécutive à un refus de s’enrôler dans l’armée pour des motifs religieux ou philosophiques ne dénote aucune malhonnêteté ou turpitude morale de nature à amoindrir les capacités de l’intéressé à exercer cette profession. L’exclusion du requérant au motif qu’il n’avait pas les aptitudes requises n’était donc pas justifiée. Il avait déjà purgé une peine d’emprisonnement et lui infliger une deuxième sanction était disproportionné. Cette sanction ne poursuivait pas un but légitime et le refus de traiter le requérant différemment des autres personnes reconnues coupables d’un crime n’avait aucune justification objective et raisonnable. Si le bureau compétent n’avait pas d’autre choix que de refuser de nommer le requérant expert-comptable, c’est le fait que l’Etat a adopté la législation pertinente sans introduire les exceptions appropriées qui a enfreint les droits du requérant.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 9 pris isolément : Eu égard à la conclusion ci-dessus, la Cour juge inutile d’examiner séparément ce grief.

Conclusion : non-lieu à examen (unanimité).

Article 6 § 1 (durée de la procédure) : Tout en étant régie par le droit administratif, la profession considérée est une profession libérale et la procédure visait à décider des droits de caractère civil du requérant. L’instance a duré sept ans, un mois et vingt jours, et il y a eu des périodes d’inactivité que le Gouvernement a expliqué uniquement par la charge de travail du tribunal compétent.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : Puisque le requérant n’est pas demeuré inactif pendant la période en question et n’a pas démontré qu’il aurait mieux gagné sa vie en tant qu’expert-comptable, la Cour estime qu’aucune indemnité ne doit être octroyée pour la perte de revenus alléguée. Elle accorde au requérant 6 000 000 de drachmes grecs (GRD) pour dommage moral et une indemnité au titre des frais et dépens.