Résumé juridique

CEDH, Religionsgemeinschaft der Zeugen Jehovas et autres c. Autriche, 31 juillet 2008, n° 40825/98
Article 9 (Liberté de religion) - Article 14 (Discrimination)

Article 9 Article 9-1
Manifester sa religion ou sa conviction


Retards importants dans l’octroi de la personnalité juridique à un groupe religieux : violation
Article 14 Discrimination

Manque de cohérence dans l’application des critères à remplir en vue d’obtenir l’enregistrement en tant qu’organisation religieuse : violation
En fait Le droit autrichien permet aux organisations religieuses d’obtenir la personnalité morale en se faisant enregistrer en tant qu’association confessionnelle au sens de la loi de 1874 sur la reconnaissance juridique des associations confessionnelles ou en tant que communauté religieuse au sens de la loi de 1998 sur les communautés religieuses. Le statut d’association confessionnelle confère aux organisations qui en bénéficient des droits plus étendus que ceux d’une communauté religieuse mais ne peut être accordé qu’à celles ayant au moins 20 ans d’existence en Autriche ou qui bénéficient depuis au moins dix ans du statut de communauté religieuse.

En 1978, puis en 1997, un groupe de témoins de Jéhovah dont faisaient partie les quatre premiers requérants demanda aux autorités d’enregistrer l’association requérante en tant qu’association confessionnelle. Celles-ci refusèrent d’effectuer l’enregistrement sollicité et le ministre compétent informa les intéressés que la loi de 1874 ne leur conférait pas le droit d’obtenir une décision expresse. Après une procédure juridique complexe qui donna lieu, en 1995, à un arrêt de la Cour constitutionnelle reconnaissant à l’association requérante le droit d’obtenir une décision sur sa demande tendant à l’obtention du statut d’association confessionnelle, le ministre rejeta ladite demande pour des motifs touchant à l’organisation interne de l’association et à la manière dont celle-ci était perçue. Cette décision fut ultérieurement annulée par la Cour constitutionnelle, qui la jugea arbitraire et contraire au principe d’égalité. Par la suite, les témoins de Jéhovah se virent accorder le statut de communauté religieuse et la personnalité morale à la faveur d’une loi adoptée en 1998, ce qui les habilita à ester en justice et à agir devant les autorités autrichiennes, à acquérir et à administrer des biens sous leur propre nom, à établir des lieux de culte et à propager leur foi. Malgré cela, l’association requérante sollicita à nouveau l’octroi du statut d’association confessionnelle. Elle se le vit refuser au motif qu’elle n’était pas enregistrée depuis au moins dix ans en tant que communauté religieuse.
En droit Article 9 – Il s’est écoulé un important délai – 20 ans environ – entre le moment où l’association requérante a présenté sa demande tendant à l’obtention du statut d’association confessionnelle et celui où elle s’est vu accorder la personnalité morale. Durant ce laps de temps, elle a été privée de personnalité morale en Autriche. Il s’ensuit que les requérants ont subi une ingérence dans leur liberté religieuse. L’ingérence en question était « prévue par la loi » et poursuivait un « but légitime », à savoir la protection de la sûreté et de l’ordre publics. Le droit des communautés religieuses à l’autonomie est indispensable au pluralisme dans une société démocratique. Compte tenu de l’importance de ce droit, les autorités ne peuvent leur imposer qu’un délai d’attente raisonnablement court avant de leur accorder la personnalité morale. La possibilité offerte aux requérants de créer des associations auxiliaires dotées de la personnalité morale ne saurait suppléer le refus prolongé des autorités de conférer ce statut aux témoins de Jéhovah. Faute pour le Gouvernement d’avoir fourni des raisons « pertinentes » et « suffisantes » propres à justifier pareil refus, l’ingérence est allée au-delà de ce qui pouvait passer pour une restriction « nécessaire » à la liberté de religion des requérants.

Conclusion : violation de l’article 9 (six voix contre une).

Article 14 combiné avec l’article 9 – Le droit autrichien accorde aux associations confessionnelles de nombreux privilèges, notamment en matière fiscale. L’obligation de neutralité incombant aux autorités en ce qui concerne l’octroi desdits privilèges leur impose d’offrir à toutes les organisations religieuses une possibilité équitable de solliciter le bénéfice d’un statut particulier, en appliquant les critères pertinents sans discrimination. Le fait, pour les pouvoirs publics, d’imposer aux communautés religieuses dotées de la personnalité morale l’écoulement d’un délai avant qu’elles ne puissent prétendre à un statut plus solide d’institution de droit public soulève des questions délicates en ce qui concerne le devoir de neutralité et d’impartialité des autorités. S’il peut être nécessaire, à titre exceptionnel, de faire attendre dix ans une communauté religieuse avant de lui accorder le statut d’association confessionnelle – notamment dans le cas où la communauté en question, récemment créée, est inconnue – un tel délai ne se justifie guère en ce qui concerne des communautés telles que les témoins de Jéhovah, qui sont établies de longue date au plan tant national qu’international et dont l’existence est donc bien connue des autorités. Celles-ci devraient être en mesure de vérifier beaucoup plus rapidement si des communautés de ce type satisfont aux conditions posées par la législation nationale. S’appuyant sur l’exemple d’une autre communauté religieuse à laquelle le statut d’association confessionnelle fut accordé en 2003 bien qu’elle n’eût été enregistrée en tant que communauté religieuse qu’en 1998, la Cour conclut que l’Etat défendeur estime que l’application uniforme du délai de dix ans n’est pas un élément essentiel de sa politique à l’égard des cultes. Il s’ensuit que la différence de traitement dénoncée n’était pas fondée sur un « motif objectif et raisonnable ».

Conclusion : violation (six voix contre une).

Article 41 – 10 000 EUR pour préjudice moral.