Résumé juridique

CEDH, Témoins de Jéhovah c. Finlande, 9 mai 2023, n° 31172/19
Article 9 (Manifester sa religion ou sa conviction)

- Modifié le 17 février

Article 9 Article 9-1
Manifester sa religion ou sa conviction


Décision à l’effet d’interdire à la communauté religieuse des témoins de Jéhovah, dans le cadre de leurs activités de porte-à-porte, la collecte et le traitement de données à caractère personnel sans le consentement des personnes concernées : non-violation
En fait Saisie d’une demande formée par le médiateur chargé de la protection des données, la Commission de protection des données interdit en 2013 à la communauté religieuse requérante (les témoins de Jéhovah) de collecter et de traiter des données personnelles obtenues dans le cadre de ses activités de prédication de porte-à-porte sans que les conditions juridiques générales auxquelles la loi sur les données à caractère personnel (« la loi ») subordonnait le traitement des données personnelles et sensibles fussent respectées, c’est-à-dire sans le consentement non équivoque des personnes concernées. Considérant que la communauté requérante et ceux de ses membres qui collectaient des données devaient être qualifiés de responsables de celles-ci au sens de cette loi, la Commission impartit à la communauté requérante un délai de six mois pour s’assurer qu’elle ne collectait à ses propres fins aucune donnée personnelle ne satisfaisant pas aux conditions auxquelles leur traitement était subordonné.

Un tribunal administratif accueillit partiellement le recours formé par la communauté requérante, jugeant que la collecte et le traitement des données recueillies dans le cadre de l’activité de prédication de l’intéressée étaient subordonnés au consentement exprès et explicite des personnes concernées, mais que celle-ci ne pouvait être qualifiée de « responsable » au sens de la loi. Saisie d’un recours formé par le médiateur, la Cour administrative suprême décida de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (« la CJUE »), lui demandant de se prononcer sur la question de savoir si la communauté requérante pouvait être qualifiée de « responsable » – au sens de la directive 95/46/CE relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (« la directive sur la protection des données ») – des données collectées et traitées par ses membres dans le cadre de leur activité de prédication de porte-à-porte. Par un arrêt du 10 juillet 2018 (Jehovan todistajat, C-25/17), la CJUE répondit à cette question par l’affirmative. Par la suite, la Cour administrative suprême annula la partie du jugement du tribunal administratif portant annulation de la décision de la Commission, laquelle acquit ainsi force obligatoire. La demande d’audience formulée par la communauté requérante fut rejetée tant par le tribunal administratif que par la Cour administrative suprême.
En droit Article 9 :

La principale question qui se pose en l’espèce consiste à savoir si un juste équilibre a été ménagé entre le droit de la communauté requérante de manifester sa religion, tel que garanti par l’article 9, et le droit des personnes concernées au respect de leur vie privée, reconnu par la législation interne sur la protection des données et par l’article 8. En conséquence, la Cour rappellera les principes généraux de sa jurisprudence relative, d’une part, à l’article 9 et, d’autre part, au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 dans le contexte particulier de la protection des données.

i) Sur l’existence d’une ingérence « prévue par la loi » et visant un « but légitime » –

L’application de l’obligation de recueillir le consentement des personnes concernées à la collecte et au traitement des données personnelles et sensibles obtenues dans le cadre d’une activité de prédication de porte-à-porte – activité religieuse visant à manifester et à diffuser la foi des témoins de Jéhovah – s’analyse en une ingérence dans les droits de la communauté requérante tels que garantis par l’article 9.

Cette ingérence était prévue par la loi, et plus précisément par la loi sur les données à caractère personnel portant transposition de la directive sur la protection des données.

La Cour relève que la Cour administrative suprême a suivi les orientations interprétatives relatives à la directive données par la CJUE sur les principaux points de droit contestés par la communauté requérante, qu’elle s’est livrée à une interprétation analogue des dispositions pertinentes de la loi et qu’elle les a appliquées en tenant compte des faits établis. La manière dont la Cour administrative suprême a interprété la loi n’est ni arbitraire ni déraisonnable.

L’ingérence litigieuse poursuivait un but légitime consistant à protéger les « droits et libertés d’autrui », en l’occurrence les personnes dont les données étaient susceptibles d’être collectées.

ii) Sur la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique –

La loi ici en cause vise à protéger le droit au respect de la vie privée, notamment celui des personnes dont les données sont susceptibles d’être collectées. L’obligation imposée par la loi de recueillir le consentement des personnes concernées aux fins de la collecte et du traitement de données personnelles et sensibles trouve son origine dans la directive sur la protection des données. La Cour administrative suprême a constaté, sans qu’aucun élément de preuve ou argument contraire n’ait été mis en avant par la communauté requérante, que les témoins de Jéhovah ne sollicitaient généralement pas le consentement exprès des personnes concernées au traitement de leurs données personnelles, et que la communauté requérante ne leur demandait pas de le faire. Elle a conclu que la Commission avait adopté la décision litigieuse non pas pour tenter de faire obstacle aux pratiques religieuses des témoins de Jéhovah, mais pour des raisons tenant au traitement des données personnelles. Elle a souligné que les personnes concernées avaient elles aussi droit au respect de leur vie privée et étaient en droit d’attendre que les dispositions relatives au traitement de telles données fussent respectées. Estimant qu’elle n’avait pas à tenir compte de la disponibilité éventuelle d’une partie des données en question auprès de sources publiques, elle a examiné l’affaire en mettant en balance le droit au respect de la vie privée des personnes concernées et la liberté de religion de la communauté requérante.

La Cour souscrit à la conclusion de la Cour administrative suprême selon laquelle les personnes dont les données sont susceptibles d’être collectées peuvent raisonnablement s’attendre à ce que la collecte et le traitement de données personnelles et sensibles dans le cadre d’une activité de prédication de porte-à-porte respectent leur vie privée. Le fait que certaines données personnelles soient déjà dans le domaine public ne limite pas cette espérance et n’amoindrit pas la protection qui leur est due. Cette conclusion se trouve étayée par la jurisprudence pertinente de la CJUE. L’obligation de recueillir le consentement des personnes concernées constitue une garantie appropriée et nécessaire pour prévenir la communication ou la divulgation de données personnelles et sensibles dans des conditions contraires aux exigences de l’article 8 à l’occasion de l’activité de prédication de porte-à-porte des témoins de Jéhovah. La Cour ne voit pas en quoi le simple fait de solliciter et d’obtenir le consentement des personnes concernées pourrait porter atteinte à la substance de la liberté de religion de la communauté requérante. Celle-ci n’a présenté aucune preuve à l’appui de son allégation selon laquelle la décision de la Commission avait un « effet dissuasif », malgré le laps de temps qui s’est écoulé depuis l’adoption de l’arrêt de la Cour administrative suprême. Enfin, la loi ici en cause s’applique à toutes les communautés et activités religieuses et aucune amende n’a été infligée à la communauté requérante.

Dans ces conditions, la Cour n’aperçoit pas de raison sérieuse pour substituer son appréciation à celle des juridictions internes et écarter le résultat de la mise en balance effectuée par elles. Les motifs sur lesquels celles-ci se sont fondées sont pertinents et suffisent à démontrer que l’ingérence litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique », que les autorités de l’État défendeur ont agi dans les limites de leur marge d’appréciation et qu’elles ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu.

Conclusion : non-violation (unanimité).

Par ailleurs, la Cour conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 6 § 1, au motif que des circonstances exceptionnelles justifiaient l’absence d’audience en l’espèce.

(Voir aussi Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], 931/13, 27 juin 2017), Résumé juridique).

Références

© Conseil de l’Europe/Cour européenne des droits de l’homme
Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.