Résumé juridique

CEDH, Adyan et autres c. Arménie, 12 octobre 2017, n° 75604/11
Article 9 (Manifester sa religion ou sa conviction)

Article 9 Article 9-1
Liberté de conscience
Liberté de religion
Manifester sa religion ou sa conviction


Condamnation d’objecteurs de conscience pour refus d’accomplir le service militaire ou un service de remplacement : violation
En fait Les quatre requérants étaient témoins de Jéhovah et objecteurs de conscience. En juillet 2011, ils furent déclarés coupables de refus d’accomplir un service militaire ou un service de remplacement et condamnés à deux ans et demi d’emprisonnement. Ils avancèrent pour leur défense que le service de remplacement prévu par le droit interne n’était pas de nature véritablement civile parce qu’il était supervisé par les autorités militaires et qu’il présentait un caractère punitif parce qu’il durait 42 mois, contre 24 mois pour le service militaire.

Devant la Cour, les requérants de plaignaient d’une violation de leurs droits garantis par l’article 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion).
En droit Article 9 : Le refus par les requérants d’accomplir leurs obligations militaires et un service de remplacement était une manifestation de leurs convictions religieuses et leur condamnation pour s’être soustraits à la conscription s’analyse donc en une atteinte à leur liberté de manifester leur religion.

Contrairement au requérant dans l’affaire Bayatyan c. Arménie [GC], en l’espèce, les requérants avaient la possibilité de refuser pour des raisons de conscience d’effectuer le service militaire obligatoire et d’accomplir en remplacement un service de travaux d’utilité publique en vertu des articles 2 et 3 de la loi sur le service de remplacement, ce service ayant été introduit en Arménie en 2004 et devant s’effectuer en dehors des forces armées de l’Arménie. À lui seul, ce fait ne justifie toutefois pas de conclure que les autorités se sont acquittées de leurs obligations découlant de l’article 9 de la Convention. La Cour doit également vérifier que les dispositions adoptées prenaient en considération les exigences dictées par la conscience et les convictions d’un individu. Bien que les États disposent d’une certaine marge d’appréciation pour l’organisation et la mise en œuvre de leurs systèmes de service de substitution, le droit à l’objection de conscience garanti par l’article 9 serait illusoire si un État était autorisé à organiser et à mettre en œuvre son système de service de remplacement d’une manière qui n’offrirait pas, que ce soit en droit ou en pratique, une solution de substitution au service militaire qui présente un caractère véritablement civil et qui ne soit ni dissuasive ni punitive.

a) Sur le point de savoir si le service de remplacement présentait un caractère véritablement civil – La Cour considère que le service de remplacement qui était proposé aux requérants à l’époque des faits ne présentait pas un caractère véritablement civil. Même s’il n’est pas contesté qu’il comportait une dimension civile (les recrues étaient affectées en qualité d’aides à divers établissements civils comme des orphelinats et des maisons de retraite), d’autres facteurs, comme l’exercice de l’autorité, les contrôles, les règles applicables ou les apparences, doivent être pris en compte lorsqu’il s’agit de déterminer si ce service de remplacement présentait un caractère véritablement civil. Dans le cas des requérants, la Cour note que les autorités militaires prenaient activement part à la supervision du service et disposaient d’une influence car elles pouvaient ordonner leur mutation dans un autre établissement ou sur un autre lieu d’affectation ; certains aspects du service de remplacement étaient organisés selon les règles en vigueur dans l’armée ; le service de remplacement n’était pas suffisamment séparé de l’armée sur les plans hiérarchique et institutionnel à l’époque des faits ; et, enfin, en ce qui concerne les apparences, les recrues du service civil étaient tenues de porter un uniforme et de demeurer sur leur lieu d’affectation.

b) Le service de remplacement peut-il être perçu comme présentant un caractère dissuasif ou punitif ? – Le service de remplacement aurait duré 42 mois contre 24 mois pour le service militaire armé. Il était donc nettement plus long que la période maximale d’une fois et demi la durée du service militaire armé définie par le Comité européen des droits sociaux*. Un écart de durée aussi important a forcément produit un effet dissuasif et peut passer pour présenter une dimension punitive.

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En résumé, les autorités n’ont pas, à l’époque des faits, tenu dûment compte des exigences imposées par la conscience et les croyances des requérants et n’ont pas offert un système de service de remplacement qui ménageait un juste équilibre entre les intérêts de la société dans son ensemble et ceux des requérants.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : 12 000 EUR chacun pour préjudice moral.

(voir également Bayatyan c. Arménie [GC], 23459/03, 7 juillet 2011, Note d’information 143)

* Conclusions XIX-1 du 24 octobre 2008 relatives à la conformité de la Grèce à l’article 1 § 2 de la Charte sociale européenne (Droit au travail : protection efficace du droit pour le travailleur de gagner sa vie par un travail librement entrepris).