Le 14 juin 2024, le Tribunal administratif de Paris a enjoint au ministre de l’Intérieur de supprimer plusieurs passages visant les Témoins de Jéhovah du rapport d’activité 2018-2020 de la Miviludes.
Le juge a rappelé en particulier le devoir de prudence de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui rattachée au ministère de l’Intérieur :
« il incombe à la Miviludes de respecter […] les obligations d’équilibre, d’impartialité et de neutralité qui s’imposent à toute autorité administrative et notamment de s’abstenir de publier dans son rapport annuel des informations erronées, à caractère mensonger ou diffamatoire ».
La Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France (FCTJF) avait adressé au président de la Miviludes un courrier, daté du 8 novembre 2021, lui demandant de supprimer de son rapport annuel publié en juillet 2021 quatre passages incorrects concernant les Témoins de Jéhovah [1].
Le président de la Miviludes, c’est-à-dire le secrétaire général du CIPDR depuis le 15 juillet 2020 [2], a expressément refusé de faire droit à cette requête par un courrier du 6 janvier 2022.
Au sujet des passages tirés de témoignages reçus dans le cadre de sa mission, le tribunal administratif a noté que les extraits sont cités entre guillemets et que la Miviludes n’y ajoute aucune prise de position, ni mise en garde.
Il a donc estimé que « ces mentions ne peuvent être regardées comme susceptibles d’influer de manière significative sur les comportements du grand public […] et de produire des effets notables pour l’association requérante ». D’où l’irrecevabilité de la demande de leur suppression.
En revanche, en ce qui concerne les accusations de recommander de ne pas faire appel à la justice et de régler les litiges en interne par un « conseil des anciens », « même en cas de problématiques infractionnelles graves », mais aussi les critiques sur l’éducation des enfants, le jugement retient cette fois-ci « l’appréciation portée [par] la Miviludes sur des faits signalés par le public » :
« les mentions […] doivent être regardés comme susceptibles d’influer de manière significative les comportements du grand public […] et de produire des effets notables pour l’association requérante, notamment dès lors que son action est présentée comme contrevenant aux lois de la République et pouvant avoir des conséquences négatives sur l’éducation des enfants ».
D’une part, le tribunal reproche à la Miviludes d’utiliser des éléments qui ne concernent pas la France ou sortent de la période couverte par le rapport. Ainsi les travaux de la Commission royale sur les réponses institutionnelles aux abus sexuels sur enfants ne concernent que l’Australie et les deux seules décisions judiciaires évoquées ont été rendues aux États-Unis en 2012 et en 2015.
D’autre part, les pièces apportées par la FCTJF prouvent que la confession ne fait pas obstacle aux recours à la justice et que ses membres respectent les obligations légales de dénoncer les maltraitances sur mineurs :
- une série d’attestations sur l’honneur de ministres du culte témoins de Jéhovah (appelés « anciens ») confirment que des signalements aux autorités françaises ont déjà été réalisés ;
- un communiqué de l’Association Cultuelle les Témoins de Jéhovah de France (ACTJF), daté du 18 janvier 2008 et destiné aux fidèles [3], rappelait l’obligation de signalement prévue par le droit français et établissait que la procédure disciplinaire ecclésiastique interne ne saurait se substituer aux poursuites éventuellement engagées par les autorités publiques ;
- l’édition française du guide pastoral Prenez soin du troupeau de Dieu comporte depuis 2010 une section spécifique, qui indique explicitement l’obligation en France de signaler les cas d’abus sur mineur.
Le juge administratif en déduit :
« l’existence d’une procédure disciplinaire interne aux Témoins de Jéhovah […] ne permet pas, compte tenu des éléments précédents, de considérer que le mouvement ferait entrave au signalement aux autorités françaises ».
En outre, il constate que le dossier de la Miviludes est quasiment vide et ne contient aucun fait probant :
« alors que le ministre ne verse aucun élément relatif à des enquêtes ou des poursuites pénales visant les Témoins de Jéhovah ou faisant état de non-respect des obligations de signalement, permettant notamment de corroborer l’unique article de presse produit par le ministre, les trois seuls témoignages produits en défense ne permettent pas de contredire les éléments invoqués par l’association requérante ».
Et de conclure fort logiquement sur ce point que « la Miviludes doit être regardée comme ayant commis une erreur de fait ».
Quant à l’éducation des enfants, où l’enseignement reçu à l’école serait discrédité et la poursuite de longues études serait découragée, le tribunal arrive à la même conclusion : « ce passage doit également être regardé comme entaché d’une erreur de fait ».
En effet, alors que le rapport laissait entendre que de telles difficultés relatives à l’éducation des enfants étaient exprimées dans les témoignages reçus sur la période considérée 2018-2020, le ministre apporte comme justificatifs seulement des extraits de publications religieuses anciennes, deux témoignages remontant à un rapport parlementaire publié en 2006 et une étude menée aux États-Unis entre 2007 et 2014.
Par conséquent, la décision du 6 janvier 2022 du président de la Miviludes est partiellement annulée et le ministre de l’Intérieur devra procéder dans un délai de 15 jours à la suppression des deux passages litigieux, l’un sur le rôle du « conseil des anciens » et l’autre sur l’éducation des enfants.
Dans un communiqué du 24 juin 2024, les Témoins de Jéhovah se réjouissent de cette décision :
« Cette décision s’accorde avec les plus de 70 décisions de la Cour européenne des droits de l’homme qui confirment que les croyances et pratiques religieuses des Témoins de Jéhovah sont parfaitement légales. »
En application de ce jugement, une version corrigée du rapport d’activité 2018-2020 a été mise en ligne sur le site de la Miviludes [4].