Droit international

Kazakhstan : l’objection de conscience reconnue par le Tribunal militaire

Tribunal militaire de la République du Kazakhstan, 16 avril 2024

- Modifié le 22 juin

Tribunal militaire de la République du Kazakhstan
Tribunal militaire de la République du Kazakhstan,
lors d’une conférence de presse en 2017

La plus haute juridiction militaire du Kazakhstan a jugé que l’incorporation d’un objecteur de conscience dans l’armée était contraire à la Constitution kazakhe et au droit international :

« En aucun cas l’État n’a le droit de forcer un individu à agir contre sa conscience. »

En République du Kazakhstan, il n’existe aucune alternative au service militaire pour les objecteurs de conscience, malgré les recommandations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies [1].

Néanmoins, l’article 36 de la Loi sur le service militaire et le statut du personnel militaire de 2012 prévoit des exemptions de la conscription en temps de paix, notamment pour les ecclésiastiques ordonnés par des associations religieuses enregistrées.

Daniil Viktorovich Smal est un témoin de Jéhovah âgé de 20 ans, originaire de Roudny dans la région de Kostanaï, au nord du Kazakhstan. Ses convictions religieuses ne lui permettent pas de porter des armes ou l’uniforme militaire, ni de participer à toute autre activité en lien avec l’armée.

Appelé pour effectuer son service militaire en 2022, Daniil s’est présenté au département de la Défense de son district, avec une attestation de sa qualité de « ministre du culte » au sein de sa confession. Ce statut permet habituellement aux jeunes témoins de Jéhovah d’être exemptés du service militaire obligatoire.

Au lieu de cela, les officiers l’ont convoqué en mai 2023 et l’ont immédiatement arrêté pour le transférer vers une base militaire dans la région d’Almaty, au sud du Kazakhstan, soit à 2 000 km de sa ville natale !

Certes, cette unité militaire était chargée des incendies, des catastrophes naturelles et de la protection civile, sous le contrôle du ministère des Situations d’Urgence.

Mais le jeune chrétien était quand même placé dans une structure militaire, qui comporte des grades, des uniformes et un serment militaires. Aussi a-t-il expliqué le 24 mai 2024 à Forum 18 :

« Tout type de service militaire, qu’il implique ou non l’usage d’armes, est incompatible avec mes convictions religieuses. »

Après plusieurs requêtes déposées sans succès par sa mère et son avocat, Daniil a engagé un recours administratif contre la décision de la Commission régionale de conscription de l’enrôler.

Le 9 novembre 2023, le Tribunal militaire de la garnison d’Almaty a déclaré cette décision illégale, puisque le droit à la liberté de conscience est protégé par l’article 22 de la Constitution kazakhe et l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par le Kazakhstan en 2006 :

« La conscription de D. V. Smal dans le cadre du service militaire obligatoire, contraire à ses croyances religieuses clairement exprimées, qui ne lui permettent pas d’effectuer son service militaire, a violé son droit à la liberté de conscience et de religion. »

La décision est entrée en vigueur immédiatement et les officiers ont dû libérer Daniil Smal dans la salle d’audience.

Le département de la Défense de la région de Kostanaï a interjeté appel, au motif que cette affaire pourrait avoir un impact négatif important auprès du public. De plus, son chef a affirmé que ce refus de servir dans l’armée était interdit par la loi sur les religions, les organisations religieuses pouvant être dissoutes pour incitation des citoyens à refuser de s’acquitter de leurs obligations légales.

Le 16 avril 2024, le Tribunal militaire de la République du Kazakhstan, en formation collégiale de trois juges, a confirmé le jugement de première instance. Elle reconnaît le droit des citoyens de s’opposer au service militaire en raison de convictions religieuses personnelles qui sont fortes :

« Selon la pratique du Comité des droits de l’homme des Nations Unies, le droit de refuser le service militaire sur la base de fortes convictions religieuses fait partie intégrante du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ».

À défaut d’appel devant la Cour suprême, la décision est entrée en force le 23 mai 2024.