Afin d’annihiler certains mouvements religieux minoritaires ou d’affecter leurs activités, il n’est pas rare que l’État, à travers son puissant ministère de l’économie, utilise avec beaucoup d’habileté le Code général des impôts (CGI) afin de les assujettir à différents impôts, taxes et contributions dont il regorge. Cependant, le succès n’est pas toujours au rendez-vous car les juges administratifs, judiciaires et européens, contrôlant de manière plus ou moins lâche la finalité supposée ou cachée de leur utilisation, n’hésitent pas à sanctionner l’administration fiscale en cas de dérive. Nous nous arrêterons sur des exemples jurisprudentiels concernant différents impôts, taxes et contributions, et verrons comment le juge concilie la nécessaire application de la législation fiscale avec la protection de la liberté fondamentale qu’est la liberté de religion.
Cotisations de taxe sur les salaires, participations des employeurs au financement de la formation professionnelle continue et à l’effort de construction
Au moment des faits, l’Association « Les Témoins de Jéhovah » déclarée selon la loi du 1er juillet 1901 subvenait historiquement aux besoins des membres de l’ordre religieux des Béthélites, appelé Communauté chrétienne des Béthélites. Jusqu’en 1998, elle assurait gratuitement l’impression des périodiques La Tour de Garde et Réveillez-vous !, l’expédition et la livraison en France et à l’étranger de publications religieuses, l’achat de matériaux et de divers biens à finalité humanitaire. En 1996, les relations entre l’Association « Les Témoins de Jéhovah » et la Communauté chrétienne des Béthélites étaient régies par une convention annuelle prévoyant que cette dernière « s’engage à affecter [à la première] un certain nombre de Béthélites en fonction des circonstances, la tâche à accomplir étant nécessairement liée à la production et à la diffusion des périodiques, brochures, livres religieux et des bibles ». Les membres de la Communauté vivent à Louviers dans des locaux mis à disposition par l’association, et percevaient à l’époque un pécule mensuel versé par l’association.
Suite à un contrôle de la comptabilité de l’Association « Les Témoins de Jéhovah », l’administration fiscale a décidé de l’assujettir à la taxe sur les salaires et des participations des employeurs à la formation professionnelle continue et à l’effort construction de 1993 à 1997 à raison des sommes versées et avantages en nature procurés aux membres permanents composant la Communauté chrétienne des Béthélites.
L’association a saisi le juge administratif afin que ce dernier prononce la décharge des cotisations de taxe sur les salaires et des droits de participations des employeurs à la formation professionnelle continue et à l’effort construction. Le Tribunal administratif (TA) de Paris a accueilli favorablement ses requêtes à travers son jugement du 28 mars 2007.
En effet, pour le tribunal, il « résulte de l’instruction que le lien de subordination dans lequel se trouvent les témoins de Jéhovah, membres permanents du Béthel situé à Louviers, procède essentiellement d’une adhésion spirituelle à leur communauté, fût-elle également de travail, et non d’un lien professionnel, lequel implique l’accomplissement de tâches laborieuses au service d’un employeur dans la perspective première de l’obtention de celui-ci, en contrepartie, d’une rémunération ; que, par suite, l’association « Les témoins de Jéhovah » est fondée à soutenir qu’elle n’était pas redevable, à raison des sommes versées et avantages en nature procurés aux membres de la “Communauté chrétienne des béthelites” des impositions susmentionnées » [1].
Il est intéressant de constater que le juge traite de manière identique l’ensemble des cultes, notamment sur la nature des relations juridiques liant un ministre du culte permanent à sa collectivité religieuse, là où le législateur tendait à créer des différences. En effet, l’article 1er de la loi n° 50-222 du 19 février 1950 précisant le statut des ministres du culte catholique au regard de la législation sociale, dispose que « l’exercice du ministère du culte catholique n’est pas considéré comme une activité professionnelle au regard de la législation sociale en tant qu’il se limite à une activité exclusivement religieuse ». Ainsi, selon le législateur, seuls les ministres du culte catholique ne seraient pas soumis à la législation sociale dans l’exercice de leur activité exclusivement religieuse. En quoi l’exercice d’une activité religieuse d’un ministre du culte catholique serait-il différent de celui d’un ministre du culte de l’église des témoins de Jéhovah, d’un moine Bouddhiste, d’un rabbin, d’un imam… ?
Dans un arrêt du 20 janvier 2010, la Chambre sociale de la Cour de cassation va généraliser le principe instauré par la loi du 19 février 1950 évoquée ci-avant à l’ensemble des cultes, assurant ainsi une égalité de traitement. En cassant l’arrêt rendu par une Cour d’appel au visa de l’article L.1221-1 du Code du travail, la Cour de cassation va juger que « l’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que l’engagement religieux d’une personne n’est susceptible d’exclure l’existence d’un contrat de travail que pour les activités qu’elle accomplit pour le compte et au bénéfice d’une congrégation ou d’une association cultuelle légalement établie » [2].
Ainsi, seules les activités accomplies pour le compte et au bénéfice d’une congrégation ou d’une association cultuelle légalement établie, permettent d’exclure l’existence d’un contrat de travail. S’il n’y a pas de contrat de travail, il n’y aucun salaire minimum à verser. Cependant, les membres permanents des congrégations et associations cultuelles légalement établies bénéficient-ils d’une protection sociale ? Si oui, auprès de quel régime ? Versent-ils des cotisations ?
Tout ministre du culte ou membre d’une congrégation ou d’une collectivité religieuse, ou toute personne exerçant un culte sans être rattaché à une structure juridique, ou tout ancien ministre du culte ou ancien membre d’une congrégation ou d’une collectivité religieuse peut demander à être affilié à la caisse d’assurance vieillesse invalidité et maladie des cultes (Cavimac).
La Cavimac est en charge du recouvrement des cotisations et des contributions sociales des ministres des cultes et des membres des congrégations et des collectivités religieuses. Ces cotisations sont destinées au financement des prestations servies par le régime des cultes au titre de l’assurance maladie, de l’assurance invalidité et des assurances retraite de base et complémentaire.
Depuis 2002, les ministres du culte permanents de l’Association cultuelle les Témoins de Jéhovah de France et les membres de la Communauté chrétienne des Béthélites sont affiliés à la Cavimac. En 2012, trois collectivités religieuses des témoins de Jéhovah étaient affiliées à la Cavimac, avec un nombre d’assurés cotisants pour ce culte s’élevant à 707 [3].
L’assujettissement à l’impôt sur les sociétés
L’impôt sur les sociétés (IS) est prévu par l’article 205 du CGI : « Il est établi un impôt sur l’ensemble des bénéfices ou revenus réalisés par les sociétés et autres personnes morales désignées à l’article 206. Cet impôt est désigné sous le nom d’impôt sur les sociétés. » L’IS se subdivise en deux impôts : l’IS sur les revenus patrimoniaux (CGI, art. 206-5), tels que notamment la location des immeubles bâtis et non bâtis, l’exploitation des propriétés agricoles ou forestières, les revenus de capitaux mobiliers (les associations pouvant être imposées au titre de ces revenus, sans pour autant être considérées comme exerçant une activité lucrative) et l’IS de droit commun prévu par l’article 206 du CGI : « sont passibles de l’impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, … et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. »
Ainsi, les associations suivantes sont soumises à l’IS : celles dont la gestion n’a pas un caractère désintéressé et celles dont l’activité est exercé en concurrence avec des entreprises du secteur lucratif et dans des conditions similaires à ces entreprises. D’autres associations sont exonérées du fait de leurs activités telles les associations intermédiaires, de mutilés, les organismes de jardins familiaux… Qu’en est-il de celles créées par les nouveaux mouvements religieux ?
Plus de 85% des ressources de l’Église nationale des Témoins de Jéhovah de France proviennent des dons et offrandes faits par les 250.000 fidèles réguliers et occasionnels. Les autres ressources sont issues de subventions d’associations religieuses, de produits divers et de revenus patrimoniaux.
Agissant « en bon père de famille », l’Association « Les Témoins de Jéhovah » avait souscrit auprès du Crédit Lyonnais des certificats de dépôt en vue de placer à court terme ses excédents de trésorerie, principalement constitués des dons versés par les fidèles. Elle a rétrocédé ces certificats la veille de leur échéance à l’établissement émetteur, lequel lui a remboursé le montant nominal des titres, majoré d’un complément égal au montant de la rémunération prévue lors de leur souscription.
Dans le cadre de la vérification de sa comptabilité ayant porté sur les exercices 1993, 1994 et 1995, l’administration fiscale a au contraire regardé ce complément comme un revenu produit par des titres de créances négociables, imposable en tant que tel. En conséquence, l’administration fiscale a assujetti l’association, au titre des trois exercices considérés, à des cotisations d’impôt sur les sociétés au taux de 10 % prévu en faveur des associations sans but lucratif par l’article 219 bis du CGI.
L’association va saisir le juge administratif afin que ce dernier prononce la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1993, 1994 et 1995 car elle estimait que le complément perçu suite à la rétrocession des certificats de dépôts constituait une plus-value de cession non imposable.
Dans son jugement du 28 mars 2007, le TA de Paris va rejeter la requête de l’association en estimant, à travers un raisonnement très technique, que « le gain réalisé par l’association “Les témoins de Jéhovah” à l’occasion du remboursement des certificats de dépôt en cause a constitué un revenu assujetti à l’impôt » [4].
L’association va interjeter appel de ce jugement. Dans son arrêt rendu le 9 décembre 2009, la cour administrative d’appel (CAA) de Paris va annuler le jugement rendu le 28 mars 2007 par le TA de Paris et accorder à l’association la décharge des cotisations d’impôt sur les sociétés, « considérant qu’aucun des motifs avancés par l’administration, qui n’a pas invoqué l’abus de droit ou la fraude à la loi, n’est susceptible de conférer aux sommes perçues dans les conditions susrappelées par l’association requérante le caractère d’un revenu produit par des titres de créance négociables ; que la perception de ces sommes constituait au contraire pour l’intéressée un gain en capital non imposable » [5]. Suite à une erreur matérielle, cet arrêt a été rectifié par l’arrêt n° 10PA00539 rendu le 14 octobre 2010 par la même CAA.
Le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, porte-parole du Gouvernement va se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État. La Haute juridiction administrative va, dans son arrêt du 6 décembre 2013, rejeter le pourvoi du ministre en reprenant les motifs de la CAA de Paris et rappeler « que le ministre, qui n’a à aucun moment soutenu que l’association se serait livrée à un montage constitutif d’abus de droit ou de fraude à la loi, n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris » [6].
En contre-exemple, nous pourrions citer le contentieux ayant opposé l’administration fiscale à l’association Église Universelle du Royaume de Dieu. En effet, suite à un contrôle de sa comptabilité, l’administration décida d’assujettir cette association au titre de l’article 206 du CGI dans sa version en vigueur à l’époque des faits.
Il résultait de l’instruction que l’association, qui a pour objet statutaire l’exercice d’un culte pentecôtiste et qui organise des collectes de dons, avait versé à son président, pendant la période vérifiée, une rémunération ou pris en charges ses frais personnels de loyers, téléphones, électricité ou de nourriture. Selon le tribunal administratif de Paris, ces faits donnaient à son activité « le critère d’une exploitation lucrative, alors même que tout ou partie des sommes allouées serait la contrepartie normale de services rendus par le bénéficiaire indépendamment de l’exercice de ses fonctions de président et que les excédents de recettes seraient affectés à la réalisation des objectifs poursuivis par l’association ». De ce fait, l’association requérante entre dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés tel qu’il est défini par les dispositions précitées de l’article 206 du CGI [7].
Également, l’administration fiscale et le juge de l’impôt affirment régulièrement le caractère lucratif, et donc passible de l’impôt sur les sociétés, des activités de l’Église de scientologie. En effet, suite à un contrôle de la comptabilité de l’Association « Église de Scientologie de Paris » ayant porté sur les années 1981 à 1984, l’association a été assujettie, par voie de taxation d’office, à l’impôt sur les sociétés au titre des années 1981 à 1984. L’association a contesté cette mesure.
Le Conseil d’État a confirmé l’arrêt de la CAA de Paris du 5 avril 1994 qui a relevé qu’au cours des années vérifiées, l’association « avait tiré la plupart de ses ressources de la vente de livres, documents et matériels, ainsi que de l’organisation de cours et entretiens destinés à faire connaître la “scientologie”, et estimé que ces opérations, effectuées à titre onéreux et procédant d’une recherche permanente d’excédents de recettes, pour l’obtention desquels elle avait largement recouru à des méthodes commerciales et, en particulier, à la publicité sous ses différentes formes, étaient caractéristiques d’une exploitation à caractère lucratif », et, par conséquent, à l’assujettissement à l’impôt sur les sociétés [8].
La taxe d’habitation
En vertu de l’article 1407 du CGI, les associations sont tenues de s’acquitter de la taxe d’habitation au titre des locaux meublés dont elles ont la disposition exclusive en qualité de propriétaire, locataire ou d’occupant gratuit. Pourquoi ? Parce que les locaux associatifs sont assimilés, pour leur imposition aux impôts locaux, à des locaux d’habitation. Néanmoins, il existe des cas d’exonération. Ainsi, sont considérés comme non imposables les locaux affectés exclusivement à l’exercice public d’un culte [9].
La question était de savoir si les lieux de culte utilisés par les témoins de Jéhovah pouvaient bénéficier de cette exonération. En effet, l’administration fiscale souhaitait soumettre à la taxe d’habitation les lieux de culte utilisés par cette confession. Par deux arrêts rendus le 13 janvier 1993, le Conseil d’État prononça la décharge de la taxe d’habitation sur les édifices de culte appartenant à deux associations locales de l’Église des Témoins de Jéhovah. La Haute juridiction justifia ses décisions en estimant que les locaux étaient gérés selon l’une des modalités prévues à l’article 25 de la loi du 9 décembre 1905 et à l’article 4 de la loi du 2 janvier 1907 et que des enseignements et des débats sur des thèmes bibliques ainsi que des cérémonies qui revêtent un caractère religieux se déroulaient dans les locaux dont dispose une association et que l’accès à ces locaux n’était pas réservé aux membres de celle-ci [10].
En revanche, comme le souligne le Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts n° BOI-IF-TH-10-10-20-20120912, le Conseil d’État jugea dans un arrêt du 14 mai 1986 que les locaux appartenant à une communauté religieuse, réservés à l’usage de ses membres, qui ne sont pas affectés à l’exercice du culte et qui ne sont pas accessibles au public, ne peuvent bénéficier de l’exonération de la taxe d’habitation [11].
La taxe foncière
En vertu des disposition de l’article 1382-4° du CGI, sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties, les édifices affectés à l’exercice du culte appartenant à l’État, aux départements ou aux communes, ou attribués, en vertu des dispositions de l’article 4 de la loi du 9 décembre 1905, aux associations ou unions prévues par le titre IV de la même loi ainsi que ceux attribués en vertu des dispositions de l’article 112 de la loi du 29 avril 1926 aux associations visées par cet article et ceux acquis ou édifiés par lesdites associations ou unions.
Cette exonération s’applique, quel que soit le mode d’acquisition des immeubles, c’est-à-dire non seulement aux édifices du culte attribués aux associations cultuelles ou diocésaines en vertu de la loi précitée, mais encore aux édifices recueillis, acquis ou construits postérieurement par ces mêmes associations.
Encore une fois la question se pose : les bâtiments du culte des témoins de Jéhovah peuvent-ils bénéficier de l’exonération prévue par l’article 1382-4° du CGI ? Les tribunaux et cours administratives d’appel ne répondaient pas unanimement à cette question, certains accordant la décharge, d’autres la refusant [12].
Cependant, par deux arrêts rendus le 23 juin 2000, le Conseil d’État a répondu positivement à la question en accordant la décharge de taxe foncière à des associations pour le culte des témoins de Jéhovah.
La CAA de Lyon, statuant en appel des jugements des tribunaux administratifs de Clermont-Ferrand et de Lyon, avait jugé que les associations requérantes pouvaient être regardées comme cultuelles et leur avait accordé l’exonération sollicitée. Le Conseil d’État était saisi de pourvois en cassation formés par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie contre les deux arrêts en cause de la cour administrative d’appel. Le ministre soutenait notamment que la doctrine de l’église des témoins de Jéhovah troublait l’ordre public, ne permettant ainsi de regarder les associations comme cultuelles et par extension de leur accorder la décharge de la taxe foncière.
Le Conseil d’État a jugé que les éléments de fait, souverainement appréciés par la CAA n’étant plus susceptibles d’être discutés en cassation devant lui, pouvaient légalement caractériser une absence d’atteinte à l’ordre public [13].
Est-il possible d’étendre cette exonération aux dépendances immédiates et nécessaires des bâtiments du culte ? La jurisprudence nous aide à répondre à cette question. Ainsi, il a été jugé que sont exclues de l’exonération prévue par l’article 1382-4° du CGI : un appartement et un garage qui ne sont pas affectés à l’exercice du culte [14], les aménagements réservés pour le stationnement des véhicules des fidèles [15], un garage de 212 m2 permettant d’accueillir des voitures particulières [16].
La jurisprudence est riche en la matière et continuera à s’enrichir [17].
Les droits de mutation sur les dons manuels
Suite au rapport de la commission d’enquête sur les sectes de 1995 établissant une liste des mouvements classés comme secte, certaines associations créées par ces mouvements pour pratiquer leur culte ont subi des opérations de contrôle de leur comptabilité par les services fiscaux. Ces vérifications ont débouché à une taxation d’office à hauteur de 60% des dons manuels reçus (offrandes des fidèles) et certaines associations se virent imposer une majoration de 80% appliquée à l’imposition due et un taux d’intérêt de retard.
Les juridictions du fond n’ont pas toutes eu la même interprétation des règles fiscales en jeu. La Cour de cassation, par un arrêt fondateur du 5 octobre 2004, a veillé à l’harmoniser en jugeant pour la première fois que la présentation de la comptabilité lors d’une opération de vérification régulièrement menée par l’administration fiscale valait révélation au sens de l’article 757 du CGI et en conséquence taxation à hauteur de 60% des dons [18]. La Haute juridiction a ensuite confirmé sa position dans d’autres arrêts [19].
Comme évoqué dans une précédente tribune [20], la CEDH fut saisie par certaines des associations visées par cette mesure confiscatoire. La CEDH, dans un arrêt fondateur du 30 juin 2011 a jugé « que les dons litigieux constituant la source essentielle de financement de l’association par les fidèles, ceux-ci peuvent prétendre être directement affectés par la mesure fiscale. En effet, la taxation dont il s’agit a menacé la pérennité, sinon entravé sérieusement l’organisation interne, le fonctionnement de l’association et ses activités religieuses, étant observé que les lieux de culte étaient eux-mêmes visés (…). Vu l’impact de cette mesure sur les ressources de l’association requérante et sur sa capacité à mener son activité religieuse en tant que telle, la Cour conclut à l’existence d’une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 9 de la Convention. » [21]
Nous aurions pu imaginer que la solution dégagée par la CEDH ne s’appliquait qu’au cas d’espèce. En effet, le 8 janvier 2013, la CEDH a déclaré irrecevable la requête de l’Association Sukyo Mahikari France [22]. En effet, pour déclarer la requête irrecevable, la Cour relève que si l’association Sukyo Mahikari France « fonctionnait en partie à l’aide des dons manuels, force est de constater toutefois que, à la différence de l’affaire de l’Association les Témoins de Jéhovah précitée, leur taxation n’a pas eu pour effet de couper ses ressources vitales ni d’entraver son activité religieuse. La Cour se réfère à cet égard aux chiffres donnés par le Gouvernement sur l’impact fiscal de la taxation (…) soit entre 24 et 26 % de l’ensemble des ressources de l’association requérante et à l’absence de conséquences de celle-ci sur les lieux de culte. Partant, la Cour ne trouve pas que les conséquences de la taxation dénoncées par la requérante soient suffisantes pour poser une question de manquement au respect de l’exercice de la liberté de religion sous l’angle du paragraphe 1 de l’article 9. »
Ainsi, une mesure fiscale viole l’article 9 de la CEDH si elle a pour effets cumulatifs de couper l’association de ses ressources vitales et d’entraver son activité religieuse.
Quelle serait la réaction de la Cour de cassation suite à ces prises de positions de la CEDH ? Une indication nous était donnée par deux arrêts d’Assemblée plénière rendus le 15 avril 2011, où la Cour de cassation, dans sa formation la plus solennelle, a déclaré dans un attendu de principe que « les États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation » [23].
Ainsi, les droits garantis par la Convention EDH devant être effectifs et concrets, toute décision de la CEDH constatant la non-conformité de la législation française aux exigences issues de la Convention EDH est d’application immédiate. Un justiciable français peut invoquer devant les juridictions nationales les arrêts rendus par la CEDH immédiatement et ne peut se voir opposer le report dans le temps des décisions rendues par les juridictions nationales.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation fit une stricte application de ce principe en opérant un revirement de jurisprudence dans un arrêt du 15 janvier 2013. Elle jugea que l’association L’Arche de Marie « n’avait rien révélé volontairement à l’administration et que seule la vérification de sa comptabilité, par les contrôleurs, avait fait apparaître les dons manuels litigieux ; que la cour d’appel en a déduit à bon droit que la procédure de vérification de comptabilité mise en œuvre ne pouvait être le support de l’appel des droits de donation » au titre de l’article 757 du CGI [24].
En effet, par trois arrêts rendus le 31 janvier 2013, la CEDH est venue confirmée sa position initiée en 2011 [25]. À travers ces trois arrêts, la CEDH a conclu à l’existence d’une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 9 de la Convention. Elle a notamment relevé que la pratique et les lieux de culte étaient visés mais aussi que pour l’une des requérantes l’impact de la mesure litigieuse sur ses ressources fut important et de nature à sérieusement freiner l’exercice de son activité religieuse.
La Cour de cassation prenant acte une nouvelle fois des arrêts de la CEDH du 31 janvier 2013, va dans un arrêt du 16 avril 2013 non seulement confirmer son revirement de jurisprudence initiée le 15 janvier 2013 mais aussi étendre la solution dégagée aux personnes physiques.
En l’espèce une jeune femme, exploitante à titre individuel, avait reçu de son père plusieurs dons manuels entre 2004 et 2006, dons qu’elle avait enregistrés dans la comptabilité de son entreprise. Lors d’une opération de contrôle de sa comptabilité, la jeune femme mit à disposition des contrôleurs l’ensemble des documents comptables de l’entreprise. Suite à ce contrôle, elle fut mise en demeure par l’administration fiscale de procéder à la déclaration des dons manuels reçus, puis fit l’objet d’un redressement et d’un avis de recouvrement du fait se son absence de réponse. Pour l’administration fiscale, cette mise à disposition de la comptabilité était assimilable à la révélation de don de l’article 757 alinéa 2 du CGI alors dans la mesure où « celui-ci n’exige pas l’aveu spontané du don de la part du donataire ».
La Cour d’appel accepte ce raisonnement mais il est revu par la Cour de cassation qui retient que « la découverte d’un don manuel à l’occasion d’une procédure de vérification de comptabilité ne saurait constituer la révélation volontaire de celui-ci à l’Administration ». Elle casse ainsi le raisonnement de la Cour d’appel qui « en statuant ainsi, alors que Mme X… n’avait rien révélé volontairement à l’Administration et que seule la vérification de sa comptabilité, par les contrôleurs, avait fait apparaître les dons manuels litigieux, la cour d’appel a violé le texte susvisé » [26].
Afin d’éviter d’autres foudres de la CEDH, la France va déposer le 31 juillet 2013 auprès du Comité des ministres du Conseil de l’Europe son bilan d’action dans l’affaire l’ayant opposé à l’Association Les Témoins de Jéhovah. Elle va y faire mention de la façon dont elle a exécuté les arrêts du 30 juin 2011 et du 5 juillet 2012 en procédant à « un dégrèvement de l’imposition en cause, à la levée, en lien avec cette imposition, des hypothèques sur les biens immobiliers de l’association requérante, au remboursement, effectué le 7 décembre 2012, de la somme déjà versée par l’association requérante (soit la somme de 4 590 295 € majorée des intérêts moratoire pour un montant total de 6 373 987,31 €) et au versement, le 20 novembre 2012, de la somme de 55 000 € au titre des frais et dépens. »
De plus, le Gouvernement déclare que « les arrêts ont été diffusés aux ministères du budget, de la justice et de l’intérieur (chargé des cultes). L’arrêt du 30 juin 2011 a été publié par la Cour de cassation dans sa veille trimestrielle de droit européen de juin 2011 (n°39), disponible sur le site internet de la Cour, ainsi que par le Centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d’Etat à destination de l’ensemble des magistrats et greffiers de la juridiction administrative. Il est également disponible par l’intermédiaire du site d’accès au droit grand public “Légifrance”. » Également, il précise que « l’article 757 du code général des impôts a été modifié par la loi no 2003-709 du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations pour exclure du champ d’application des droits de mutation les dons manuels consentis aux organismes d’intérêt général mentionnés à l’article 200 du même code » et souligne que « la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence en estimant, dans deux arrêts de 2013, que la révélation au sens de l’article 757 du code général des impôts n’était pas constituée si le don manuel était constaté à l’occasion d’une présentation de comptabilité qu’il s’agisse d’une personne morale (…) ou d’une personne physique (…). » Ainsi, il considère avoir exécuté les arrêts des 30 juin 2011 et 5 juillet 2012 [27].
Dans sa résolution CM/ResDH(2013)184 du 26 septembre 2013, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, après avoir examiné le bilan d’action transmis par le Gouvernement français, va constater l’exécution par ce dernier de ses obligations imposées par l’article 46, paragraphe 1, de la Convention EDH notamment outre le paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour, l’adoption par les autorités de l’État défendeur, si nécessaire de mesures individuelles pour mettre fin aux violations constatées et en effacer les conséquences, dans la mesure du possible par restitutio in integrum et de mesures générales permettant de prévenir des violations semblables [28].
Pour être complet sur cette thématique, ajoutons que l’association dénommée « Mission Swami Atmananda Atma Bodha Satsanga » jusqu’en septembre 1996 et depuis lors « Yogiraj Shyamacharan Mission », association cultuelle régie par la loi du 1er juillet 1901, fit aussi l’objet d’un contrôle de sa comptabilité qui amena l’administration fiscale à taxer à hauteur de 60% les dons manuels reçus de ses fidèles [29]. En revanche, nous ne trouvons aucune référence d’un quelconque recours contentieux contre la mesure de taxation.
Malgré la condamnation de la France par la CEDH et le revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, il semble que l’administration fiscale soit entrée en résistance. En effet, à travers le Bulletin Officiel des Finances Publiques-Impôts (support de diffusion de la doctrine fiscale) en date du 28 janvier 2014, l’administration fiscale va reprendre le principe selon lequel « les dons manuels découverts par l’administration à l’occasion d’une vérification de comptabilité ne sont pas révélés par le donataire au sens de l’article 757 du code général des impôts ». Cependant, elle va expliquer sa position actuelle en prenant pour appui un jugement du tribunal de grande instance de Limoges rendu le 21 novembre 2013, aux termes duquel le tribunal a estimé que « la réponse faite à l’administration à sa demande relative à la nature de “produits exceptionnels” inscrits dans la comptabilité de l’association contient une révélation sur les dons manuels dont elle a bénéficié sur la période objet du contrôle » et d’en déduire plus généralement que « la réponse à une demande de l’administration constitue bien une révélation au sens de l’article 757 du CGI, quel que soit le fondement de la demande de l’administration » [30].
L’administration précise aussi que « lorsqu’elle est saisi d’un litige, la Cour européenne des Droits de l’Homme prend en compte la situation propre à chaque contribuable pour apprécier si la taxation en cause constitue ou non un manquement au respect de la liberté de religion au sens de l’article 9 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. » À faire référence expressément à l’article 9 de la CEDH ainsi qu’aux arrêts rendus par la CourEDH en 2011 et 2013, il est légitime de s’interroger sur les réelles motivations de l’administration à travers ce bulletin où elle expose sa nouvelle doctrine. A sa lecture, nous pouvons en déduire que l’administration ne s’avoue pas vaincue face aux mouvements qualifiés de sectaires. Son objectif reste identique : chercher tous les moyens possibles pour taxer les dons que ces mouvements reçoivent afin de les désorganiser dans leur fonctionnement voire les faire disparaitre. Ne pouvant plus justifier la révélation des dons par un contrôle de leur comptabilité, elle va interroger lesdits mouvements sur la nature de leurs ressources, ce qui vaudra révélation et donc taxation.
Comme le souligne Béatrice Guillaume, « en mentionnant au Bofip (…) un jugement de cette nature rendu par une juridiction de première instance, frappé d’appel et donc non encore définitif, l’administration fiscale démontre sa détermination à pénaliser les organismes bénéficiaires de dons manuels qui se révèleront à l’occasion de contrôles fiscaux. Une résistance qui risque d’être à nouveau sanctionnée par les juridictions européennes en cas de contentieux car le caractère aléatoire de l’assujettissement aux droits de mutation subsiste. Une position qui pénalise également l’association qui, de bonne foi, se sera laissée « piéger » par l’administration fiscale en répondant à ses questions. » [31]
La taxe sur la valeur ajoutée (TVA)
La TVA est un impôt général sur le chiffre d’affaires perçu en proportion de la valeur ajoutée du produit ou du service à chaque stade de la production ou de la distribution. Sont soumises à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux (CGI, art. 256). Sont assujetties à la TVA les personnes qui effectuent de manière indépendante une activité économique, quel que soit le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. Une association n’est pas, par principe, soumise à la TVA sauf si elle fonctionne comme une activité commerciale.
L’association « Yogiraj Shyamacharan Mission », déjà évoquée ci-avant, était placée sous la direction spirituelle d’un moine hindouiste, M. Swami Brahmananda, jusqu’à son décès en 1997. Toujours suite à la vérification de sa comptabilité, l’administration fiscale remis en cause le caractère non lucratif de l’activité exercée et l’exonération de TVA dont elle se réclamait au titre des années 1994 à 1996, par une notification de redressements en date du 12 décembre 1997. L’association les contesta.
Cependant dans son jugement du 18 janvier 2005, le TA de Nantes rejeta la requête de l’association. En effet, le tribunal constata que M. Brahmananda avait bénéficié pour les années 1994 à 1996 de dons en argent de membres de l’association, conformément à la délibération de l’assemblée générale annuelle de l’association, en date du 3 janvier 1982, qui en avait fait une obligation morale pour chacun de ses membres. Également, l’association révéla que le directeur spirituel n’a jamais reversé, même pour partie, les dons qui lui sont revenus directement. Même si l’association soutenait que son directeur spirituel a disposé personnellement de ces dons pour financer des œuvres à caractère humanitaire et social en Inde, et que ces sommes n’entraient pas dans les comptes de l’association, elle ne put le prouver par la production de témoignages établis postérieurement aux années concernées. Enfin, selon le tribunal l’emprise de M. Brahmananda sur le fonctionnement de l’association était totale, le conseil d’administration ne s’était réuni qu’une fois par an au cours des années litigieuses et que les membres ne s’étaient jamais réunis pour examiner et approuver les comptes de l’association.
Ainsi, pour le tribunal l’association doit être regardée comme ayant consenti, au profit de personnes autres que celles en faveur desquelles son activité est exercée, des avantages particuliers, qu’ainsi sa gestion ne présentait pas un caractère désintéressé ne lui permettant pas de bénéficier de l’exonération de TVA [32].
Également, dans un arrêt du 3 mars 1995, la CAA de Nantes a estimé que les prestations de services rendues par l’association Église de scientologie d’Angers à ses membres étaient passibles de la TVA. En effet, il résultait de l’instruction que l’association « a tiré la plus grande part de ses ressources de la facturation de diverses prestations de services rendus à ses membres sous forme de cours, d’auditions, de confessions, chaque prestation étant dûment tarifiée, ainsi que la vente de matériels destinés à faire connaître la doctrine de cette église ; qu’elle a fait appel aux méthodes de publicité courantes en matière commerciale ; qu’ainsi, et nonobstant l’objet religieux qu’auraient les prestations fournies, les opérations et services, par leur caractère permanent et onéreux, procuraient à l’association requérante des recettes constituant l’exercice d’une activité économique, et présentaient de ce fait un caractère lucratif les rendant passibles de la taxe sur la valeur ajoutée » [33].
Conclusion
Comme le rappelle une réponse ministérielle publiée au Journal officiel de l’Assemblée nationale le 15 juin 2010, « les associations ont le droit d’exercer des activités de nature commerciale, mais elles sont alors soumises au droit commun du code de commerce et ont l’obligation de mentionner dans leurs statuts l’exercice habituel de ces activités. Sur un plan fiscal, les associations sont assujetties aux impôts et taxes commerciaux (…) dès lors qu’elles exercent de telles activités à titre habituel et qu’elles fonctionnent comme une entreprise commercial (…). L’administration fiscale vérifie que les modalités d’exercice de leur activité par les associations soient conformes aux conditions d’exonération prévues par la loi. » [34] En effet, l’administration fiscale vérifie, mais le juge de l’impôt contrôle et n’hésite pas à la sanctionner quand l’utilisation de l’arme fiscale est détournée de sa finalité.
En cas de doute sur l’application d’un texte fiscal à sa situation, une association devrait automatiser le recours au rescrit fiscal permettant de soumettre à l’administration son cas précis ou sa question. Il ne s’agit pas d’une simple demande de renseignements. La réponse fournie par l’administration l’engagera pour l’avenir (sous certaines conditions) et garantira ainsi une sécurité juridique au contribuable en cas de contrôle ultérieur.
Pour approfondir la thématique du régime fiscal des associations, il est possible de consulter l’instruction fiscale BOI 4H-5-06 qui récapitule l’ensemble des dispositions formant le régime d’imposition des organismes à but non lucratif, précisé depuis 1998. Il peut être aussi renvoyé aux circulaires ministérielles NOR/IOC/D/10/16585/C du 23 juin 2010, NOR/IOC/D/21246C du 29 juillet 2011 et NOR/IOC/D/21265C du 25 août 2011 concernant entre autres la thématique des cultes et de la fiscalité.
Olex.