Cette première tribune de l’année 2016 présente un caractère original. Au lieu de traiter un sujet en particulier, nous allons revenir sur des décisions marquantes rendues au cours de l’année 2015 par les juridictions nationales puis européennes. Nous aborderons de nombreuses thématiques toutes liées au droit des cultes : reconnaissance d’un mariage religieux, conséquences du non respect des principes de laïcité et de neutralité par un agent d’un service public, refus d’ouverture d’un lieu de culte, suppression d’un repas de substitution dans les cantines scolaires… Pour chaque thématique, une question sera posée, permettant de comprendre la problématique en jeu, et nous verrons la réponse apportée par le juge.
Un maire peut-il refuser de délivrer une autorisation d’ouverture au public d’un lieu de culte ?
L’association musulmane El Fath, implantée à Fréjus, portait un projet d’ouverture d’une mosquée sur la commune de Fréjus. Pour ce faire, elle a obtenu par un arrêté du maire de Fréjus du 8 avril 2011, modifié par arrêté du 19 août 2013, un permis de construire pour l’édification dans cette commune d’une mosquée et la démolition de garages servant antérieurement de lieu de culte. Par un arrêté du 17 novembre 2014, le maire de Fréjus a mis en demeure cette association d’interrompre les travaux entrepris sur le terrain d’assiette du projet. Par une ordonnance du 19 décembre 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a suspendu l’exécution de cette décision permettant à l’association d’achever les travaux de construction. Une fois les travaux achevés, l’association a sollicité du maire, par courriel du 5 juin 2015, la délivrance d’une attestation d’achèvement et de conformité des travaux ainsi que l’autorisation d’ouverture de la mosquée, requise par les dispositions du code de la construction et de l’habitation relatives aux établissements recevant du public. En dépit de l’avis favorable émis le 18 juin 2015 par la sous-commission départementale de sécurité, le maire a implicitement rejeté cette demande le 5 août 2015, interdisant ainsi l’ouverture de la mosquée.
L’association El Fath a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon d’un référé-liberté. Par une ordonnance du 17 septembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif a relevé que le refus d’autoriser l’ouverture de la mosquée n’était fondé sur aucun motif légal et a suspendu la décision du 5 août 2015 afin de permettre la tenue des célébrations de l’Aïd prévues le 24 septembre 2015. Il a également enjoint au maire de réexaminer la demande d’autorisation d’ouverture de la mosquée dans un délai de quinze jours.
Le maire n’ayant pris aucune nouvelle décision sur cette demande d’autorisation, l’association musulmane El Fath et plusieurs fidèles ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon d’un nouveau référé-liberté, en renouvelant leurs précédentes demandes. Par une ordonnance du 19 octobre 2015, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté ces demandes, estimant que la condition particulière d’urgence n’était pas remplie. L’association et les autres requérants ont alors formé un appel devant le juge des référés du Conseil d’État.
Dans l’ordonnance rendue le 9 novembre 2015, le juge des référés du Conseil d’État rappelle que l’ordonnance du 17 septembre 2015 du juge des référés du tribunal administratif de Toulon n’a pas été contestée en appel et imposait au maire de Fréjus de réexaminer la demande d’autorisation d’ouverture de la mosquée. Par ailleurs, elle jugeait que le refus du maire d’autoriser l’ouverture de la mosquée ne pouvait légalement se fonder sur un motif de droit de l’urbanisme, puisqu’une décision sur l’ouverture d’un établissement recevant du public doit être fondée sur les règles propres à cette matière (prévues par le code de la construction et l’habitation) : le maire devait donc corriger ce vice. Le juge des référés du Conseil d’État estime, que le maire de Fréjus ne l’a pas fait et qu’est ainsi constituée une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte et à la liberté d’expression.
Le juge des référés du Conseil d’État estime que la condition d’urgence particulière exigée par la procédure de « référé-liberté » est remplie. Il se fonde pour cela, non seulement sur le fait que les 650 personnes qui se réunissent chaque vendredi devant la mosquée de Fréjus ne disposent d’aucun lieu de culte adapté à moins de quinze kilomètres de cette commune, alors que par ailleurs la commune n’a donné aucune suite à la demande de l’association tendant à la mise à disposition d’une salle communale, mais aussi sur le contexte particulier de l’affaire, marqué par le refus persistant d’autoriser l’ouverture de ce lieu de culte en dépit de la décision de justice précédemment obtenue par les requérants.
Afin de mettre fin à l’atteinte grave et manifestement illégale constatée, le juge des référés du Conseil d’État ordonne donc au maire de Fréjus d’accorder à l’association musulmane El Fath, à titre provisoire, l’autorisation d’ouverture de la mosquée, dans un délai de huit jours et sous astreinte de 500 euros par jour de retard [1].
En l’absence d’exécution de cette décision de justice par le maire de Fréjus, le juge des référés du Conseil d’État a, par une ordonnance du 3 décembre 2015, procédé à la liquidation de l’astreinte en condamnant la commune de Fréjus à verser la somme globale de 6 500 euros à l’association El Fath. [2]. Le maire de Fréjus n’ayant toujours pas exécuté l’ordonnance du 9 novembre 2015, l’association a demandé au préfet du Var de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales pour y procéder d’office.
Le 24 novembre 2015, l’association a demandé au préfet du Var qu’il donne suite au courrier du 21 octobre 2015 par lequel il avait mis en demeure le maire de Fréjus de délivrer, sous quinzaine, l’autorisation provisoire d’ouverture au public de la mosquée et indiqué qu’en l’absence de décision en ce sens, il userait du pouvoir hiérarchique que lui confère l’article L. 2131-5 du code général des collectivités territoriales.
À la suite du courrier du 4 décembre 2015 que lui adressé le préfet du Var, l’association musulmane El Fath a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet en lieu et place du maire de Fréjus d’assurer l’exécution de l’ordonnance du 9 novembre 2015 du juge des référés du Conseil d’État. Par une ordonnance du 24 décembre 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande [3].
Saisi en appel, le juge des référés du Conseil d’État va notamment souligner que « le refus du préfet du Var de prendre, dans le cadre de son pouvoir hiérarchique, la mesure ordonnée par le juge des référés du Conseil d’État porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à un recours effectif ainsi que, par voie de conséquence, aux libertés fondamentales que cette mesure a pour objet de sauvegarder ».
Il va annuler l’ordonnance rendue par le tribunal administratif de Toulouse et enjoindre au préfet du Var de faire usage de ses pouvoirs pour assurer l’exécution de l’ordonnance du 9 novembre 2015 dans un délai de 72 heures [4].
Une commune peut-elle refuser de louer une salle municipale à une association au seul motif que celle-ci souhaite y célébrer un événement cultuel ?
Selon les dispositions de l’article L. 2144-3, alinéa 1er, du Code général des collectivités territoriales (CGCT), le maire a la possibilité de mettre à disposition d’une association une salle municipale. Il détermine alors les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l’administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l’ordre public [5]. Le maire peut ainsi mettre une salle à disposition dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité.
Ainsi, l’association des musulmans de Mantes sud avait demandé à la commune de Mantes-la-Ville de pouvoir disposer d’un local communal pour accueillir un rassemblement d’un millier de fidèles le jeudi 24 septembre 2015, de 7h à 11h, à l’occasion de la fête de l’Aïd. En l’absence de réponse du maire, l’association a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, qui a rejeté sa demande en référé-liberté le 18 septembre 2015 [6].
Le juge des référés a considéré que le refus du maire de Mantes-la-Ville était fondé sur deux motifs justifiés : d’une part, les nécessités du fonctionnement du service public de l’enseignement scolaire (le gymnase Aimé Bergeal demandé étant, sur le planning de l’année scolaire, réservé ce jeudi matin dans la plage horaire demandée (7-11h) pour les élèves du collège Les Plaisances), d’autre part, les impératifs de sécurité des établissements recevant du public, puisque le récent procès-verbal de la commission de sécurité, du 25 août 2015, mentionne une aire de sport de 882 m2 pouvant accueillir au maximum 110 personnes, soit environ 10 fois moins que le nombre de personnes attendues, les autres salles ne pouvant être retenues au regard de leur configuration et de la nature de la célébration en cause. L’association a alors saisi en appel le juge des référés du Conseil d’État.
Dans son ordonnance du 23 septembre 2015, le juge des référés du Conseil d’État va faire une stricte application de la jurisprudence Ville de Lyon [7]. Il rappelle que les dispositions de l’article L. 2144-3 du CGCT « permettent à une commune, en tenant compte des nécessités qu’elles mentionnent, d’autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l’égard des cultes et du principe d’égalité, l’utilisation d’un local qui lui appartient pour l’exercice d’un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité et, par suite, toute aide à un culte ». Il réaffirme que « les collectivités territoriales ne peuvent, sans méconnaître les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, décider qu’un local dont elles sont propriétaires sera laissé de façon exclusive et pérenne à la disposition d’une association pour l’exercice d’un culte et constituera ainsi un édifice cultuel ». Il précise que si une commune ne peut rejeter une demande d’utilisation d’un local municipal au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d’exercer un culte, « un tel refus peut être légalement fondé sur l’existence d’une menace à l’ordre public ou sur un motif tiré des nécessités de l’administration des propriétés communales ou du fonctionnement des services. »
En l’espèce, le juge des référés a relevé qu’un gymnase habituellement utilisé pour le rassemblement de l’Aïd était occupé par des classes de collège. En revanche, il a constaté que la salle de spectacle « Jacques Brel », qui permet d’accueillir le nombre de personnes attendu, n’était occupée que de 9 heures à 16h30 et que la célébration pouvait se dérouler de 7h à 9h. Ainsi, le refus de la commune de mettre à la disposition de l’association des musulmans de Mantes une salle municipale susceptible d’accueillir, dans le respect des normes de sécurité, la célébration de la fête de l’Aïd-el-Kebir porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés de réunion et de culte, constitutive d’une situation d’urgence. Le Conseil d’État va enjoindre au maire de Mantes-la-Ville de mettre à la disposition de l’association des musulmans de Mantes Sud la salle polyvalente « Jacques Brel » le 24 septembre 2015, de 7 heures à 9 heures [8].
La suppression de la mise à disposition d’une salle de prière viole-t-elle la liberté de religion des fidèles l’utilisant ?
La société Sonacotra devenue Adoma a informé les résidents du foyer Adoma de Meaux de travaux de réaménagement incluant la fermeture de la salle polyvalente, utilisée comme salle de prière, lors d’une première réunion préparatoire de février 2013, suivie d’une seconde en mai 2013, les travaux devant démarrer en juin 2013. Les résidents soutiennent que cette salle polyvalente a été mise à leur disposition, pour être utilisée comme salle de prière pour l’exercice du culte musulman, depuis 1971, qu’il y a eu ainsi formation d’un contrat verbal de mise à disposition que la société Adoma n’est pas en droit de rompre unilatéralement, sans motif valable, leur causant un tort important dans le libre exercice de leur religion.
La cour d’appel de Paris dans son arrêt du 10 juillet 2014 a rejeté les demandes des résidents. Ils se sont pourvus en cassation en arguant que la cour d’appel de Paris a violé l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et l’État, ainsi que l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Dans son arrêt du 30 septembre 2015, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi en jugeant que « la société Adoma n’est pas en charge d’assurer aux résidents la possibilité matérielle d’exercer leur culte et constate que ceux-ci peuvent pratiquer la religion musulmane sans utiliser la salle de prière, qui facilite seulement leur pratique religieuse. » La Cour a également constaté que les résidents pouvaient pratiquer leur religion soit dans leurs chambres, soit en se rendant dans une mosquée située à moins de deux kilomètres de la résidence [9].
Un parent peut-il s’opposer au baptême religieux de son enfant mineur ?
La Cour de cassation s’est penchée de nouveau sur cette question à travers son arrêt rendu le 23 septembre 2015. En l’espèce, de l’union d’un couple naquit deux enfants respectivement en 2005 et 2006. En 2010, les deux enfants ont été placés à l’aide sociale à l’enfance. Néanmoins, l’autorité parentale était exercée conjointement par le père et la mère. Le père souhaitait faire baptiser ses deux enfants alors âgés de 6 et 7 ans. La mère s’y opposait, tout comme les enfants qui ne comprenaient pas le sens de cette démarche.
Le père saisit le juge des affaires familiales afin d’obtenir l’autorisation de faire baptiser ses enfants. Le juge des affaires familiales ne lui accorda pas cette autorisation. Il interjeta appel de ce jugement devant la cour d’appel de Limoges. Devant la cour d’appel, il affirmait qu’il n’avait pas à s’expliquer sur ses convictions et pratiques religieuses. Selon lui, le choix du baptême ne méconnaissait pas l’intérêt de ses enfants. Enfin, il arguait qu’une demande de baptême n’a aucune incidence sur une demande de renouvellement de placement ou de suspension de droit de visite du père.
Dans son arrêt du 10 septembre 2013, rejeta la demande du père. Elle affirma que les enfants ne désiraient pas se faire baptiser. Elle a ajouté que ce sacrement ne correspondait pas à l’intérêt des enfants et a relevé que le père des enfants n’établissait pas la réalité de ses convictions et de sa pratique religieuse.
Devant la Cour de cassation, le père affirmait que par son arrêt attaqué, la cour d’appel avait violé les articles 8 et 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion.
La Haute Juridiction va constater d’une part « que les enfants, âgés de 6 et 7 ans, ne souhaitaient pas être baptisés car ils ne comprenaient pas le sens de cette démarche, d’autre part, qu’ils ne souhaitaient pas, en l’état, revoir leur père, dont les droits de visite avaient été suspendus en raison de son comportement menaçant et violent ». Elle va en conclure que « sans méconnaître la liberté de conscience et de religion du père, qu’en l’état du refus de la mère, la demande [du père], qui n’était pas guidée par l’intérêt supérieur des enfants, devait être rejetée » et d’ajouter que « le conflit d’autorité parentale relatif au baptême des enfants devait être tranché en fonction du seul intérêt de ces derniers » [10].
Par cet arrêt, la Cour de cassation semble maintenir sa position issue de sa jurisprudence du début des années 1990 : le nécessaire consentement des père et mère pour autoriser le baptême religieux d’un enfant mineur [11]. Cependant, une lecture attentive de cet arrêt permet d’entrevoir une timide inflexion de sa position lorsqu’elle affirme qu’un conflit d’autorité parentale relatif au baptême des enfants doit être tranché en fonction du seul intérêt de ces derniers. En effet, ce qui est à prendre en considération n’est pas le désir d’un ou des parents mais celui de l’enfant. Le désir de l’enfant doit être libre et éclairé, c’est un choix volontaire issu d’une réflexion personnelle. Un enfant ne doit pas envisager le baptême uniquement pour faire plaisir à ses parents ou sous la contrainte de ces derniers ou pour faire comme ses amis et camarades. C’est un acte de la vie qui doit être décidé en toute connaissance de cause. Un enfant doit être en mesure d’expliquer ses motivations mais aussi comprendre les conséquences de son choix. La décision d’un juge, d’autoriser ou non le baptême d’un enfant en cas de conflit entre les parents, ne devrait être prise qu’en fonction de ces éléments.
Le maire et le conseil municipal d’une commune peuvent-ils détourner impunément le droit de préemption et le droit de l’urbanisme afin de faire obstacle à l’ouverture d’un lieu de culte ?
Par une délibération du conseil municipal de Mantes-la-Ville en date du 29 juin 2015 et par une décision du maire de cette commune en date du 22 juillet 2015, le projet porté par la communauté musulmane de la ville, consistant à racheter les locaux de l’ancienne trésorerie pour les transformer en mosquée, fut mis à mal. En effet, par la décision du 22 juillet 2015 le maire décida de préempter le local devant accueillir la salle de prière, et par la délibération du 29 juin 2015, le conseil municipal décida la réalisation d’une étude de travaux pour un poste de police municipale au lieu et place de l’ancienne trésorerie.
Le préfet des Yvelines s’est opposé le 31 juillet 2015 à ces deux décisions prises successivement par le conseil municipal de Mantes-la-Ville. Par deux requêtes, il a saisi le juge des référés du Tribunal administratif de Versailles selon la procédure du référé-suspension. Le préfet soutenait la constance du maire à déclarer son opposition à l’implantation d’un lieu de culte musulman, l’utilisation de tous les moyens permettant d’empêcher ce projet et l’aveu d’une volonté d’user du droit de préemption et du droit de l’urbanisme à des fins de blocage.
Par deux ordonnances du 20 août 2015, le juge des référés du tribunal administratif a suspendu ces décisions. Il a estimé, dans chaque affaire, que le moyen tiré du détournement de pouvoir était de nature à créer un doute sérieux sur leur légalité [12].
Par une ordonnance du 9 octobre 2015, le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Versailles, statuant en appel sur les ordonnances du 21 août 2015 du juge des référés du Tribunal administratif de Versailles référencées ci-dessus, a confirmé les suspensions ordonnées par le premier juge. Le juge d’appel a estimé que le moyen tiré du détournement de pouvoir paraissait, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de cette délibération et de cette décision, qui visaient à faire échec à la vente de cette parcelle destinée à accueillir un nouveau lieu de culte et à installer un nouveau poste de police municipale sur ce site [13].
Une commune peut-elle procéder à un recensement des élèves fréquentant ses établissements scolaires en fonction de leur confession ?
À l’occasion d’émissions télévisées qui ont eu lieu les 4 et 5 mai 2015, le maire de Béziers a fait état d’informations en sa possession à partir desquelles il a été en mesure d’affirmer qu’un pourcentage précis d’élèves de confession musulmane étaient inscrits dans les établissements scolaires de l’enseignement du premier degré de la commune. Le 6 mai 2015, la Coordination contre le racisme et l’islamophobie a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier selon la procédure de référé-liberté, afin d’enjoindre au maire de Béziers de cesser tout acte de collecte, d’enregistrement, de conservation, de consultation et d’utilisation de traitement des informations sur la religion supposée des élèves fréquentant les écoles publiques de la commune et à la commune de Béziers de remettre au greffe du tribunal et à la Coordination contre le racisme et l’islamophobie les copies intégrales des supports papiers ou informatiques ayant permis le fonctionnement de ce traitement.
Dans son ordonnance du 11 mai 2015, le juge des référés a rappelé que « le droit pour toute personne ou groupe de personnes de ne faire l’objet d’aucun recueil d’informations sous quelque forme que ce soit fondé sur l’appartenance à une religion, qui procède du principe de non discrimination découlant de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, repris par l’article 1er du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, constitue une liberté fondamentale ».
Il a constaté que les « informations ont été collectées à partir des fichiers recensant les élèves inscrits dans les établissements publics d’enseignement, dans lesquels les enfants supposés appartenir à la religion musulmane ont été identifiés d’après leurs prénoms ». Il a aussi relevé « qu’une telle opération de collecte de données d’après les informations nominatives concernant les élèves de l’enseignement public recensés par les services de l’éducation nationale auxquelles les maires des communes ont légalement accès, constitue un traitement de données à caractère personnel au sens des dispositions sus rappelées de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978. »
Le juge des référés a réaffirmé que le traitement de données à caractère personnel, « d’après un critère discriminant d’appartenance présumée à une religion en dehors de toutes les procédures et garanties imposées par la loi, laquelle, en outre, interdit explicitement la création de fichiers fondés sur un tel critère, ne peut, en vertu du principe [de non discrimination], poursuivre aucun objectif légalement admissible et constitue donc par lui-même, quels que soient les buts en vue desquels son ou ses auteurs affirment avoir agi, une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale ».
Cependant, le juge des référés a constaté que l’existence sous forme matérielle ou informatique de fichiers recensant spécifiquement les élèves de confession musulmane inscrits dans les écoles publiques n’était pas démontrée. De plus, il n’apparaissait pas que, en dehors des déclarations publiques faites par le maire de la commune, cette dernière aurait voulu dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, utilisé ou manifesté l’intention d’utiliser les données collectées à des fins susceptibles de constituer une violation d’une liberté fondamentale. Il en a conclu qu’aucune injonction en vue de sauvegarder une liberté fondamentale ne pouvait être adressée à la commune de Béziers et a, en conséquence, rejeté la requête [14].
Des parents peuvent-ils exiger une adaptation pour motif religieux ou de conscience des repas servis à leur enfant inscrit à la cantine scolaire ?
Les parents d’un enfant âgé de trois ans lors de la rentrée scolaire 2014-2015 l’ont inscrit en petite section de maternelle à l’école publique Belle étoile à Sannois. Ils ont manifesté leur souhait, lors de la rentrée scolaire 2014, que ne soit pas servi de plats à base de viande à leur fils, qui fréquente le service de restauration scolaire de l’école. Cette demande a donné lieu à un entretien entre les parents et le maire de la ville de Sannois le 18 septembre 2014 qui s’y est opposé verbalement. Le lendemain, les parents ont réitéré leur demande par courrier adressé au maire. Ce dernier s’est opposé à cette demande par une décision en date du 24 septembre 2014. Les parents ont saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise afin qu’il annule cette décision. Ils demandaient également au Tribunal qu’il soit enjoint à la commune de Sannois de faire respecter le choix qu’ils ont fait pour leur fils que des protéines animales, à l’exception de celles issues du poisson, ne lui soient pas servies lors des repas qu’il prend à l’école.
Les parents arguaient, entre autres, que la décision attaquée est entachée d’une incompétence de son auteur, dès lors qu’en vertu des stipulations de l’article 9, alinéa 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, seules des dispositions législatives peuvent restreindre la liberté de manifester une religion ou des convictions. Ils soutenaient que la décision attaquée a été prise en violation des stipulations de l’article 14 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, de celles de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de celles de l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ces stipulations protégeant la liberté des convictions religieuses et l’expression de celles-ci.
Le tribunal va d’abord affirmer que « les stipulations de l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantissent la liberté de pensée, de conscience et de religion, dont la liberté de manifester sa religion ou sa conviction et posent le principe que cette liberté ne peut faire l’objet que de restrictions qui sont prévues par la loi comme nécessaires pour la protection de la sécurité et de l’ordre publics, de la santé et de la morale publiques, ou des droits et libertés d’autrui ». Il va ajouter qu’aux termes de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle [respecte] toutes les croyances. »
Ensuite, il va relever que « que l’observation de prescriptions alimentaires peut être regardée comme une manifestation directe de croyances et pratiques religieuses au sens de l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ». Il va relever que des restrictions peuvent être apportées à ces libertés si elles sont nécessaires à la protection de l’ordre et de la santé publics, ainsi que des droits et libertés d’autrui.
Ainsi, il va rappeler que l’article L. 230-5 du code rural et de la pêche maritime dispose que « Les gestionnaires, publics et privés, des services de restauration scolaire et universitaire ainsi que des services de restauration des établissements d’accueil des enfants de moins de six ans, des établissements de santé, des établissements sociaux et médico-sociaux et des établissements pénitentiaires sont tenus de respecter des règles, déterminées par décret, relatives à la qualité nutritionnelle des repas qu’ils proposent et de privilégier, lors du choix des produits entrant dans la composition de ces repas, les produits de saison. Les règles relatives à la qualité nutritionnelle des repas sont publiées sous la forme d’une charte affichée dans les services concernés ». Également, aux termes de l’article D. 230-28 du même code, « Afin d’atteindre l’objectif d’équilibre nutritionnel des repas servis par les services de restauration des établissements d’accueil d’enfants de moins de six ans sont requis, conformément à l’article L. 230-5 : /― le respect d’exigences minimales de variété des plats servis ; / ― la mise à disposition de portions de taille adaptée à l’âge de l’enfant ; / ― la prise en compte de besoins particuliers propres à l’alimentation infantile. / Les dispositions du présent article sont précisées par un arrêté conjoint des ministres chargés de l’alimentation, de la santé, de la consommation, de l’outre-mer, des collectivités territoriales, et de la cohésion sociale et des solidarités. » L’ensemble de ces dispositions sont précisées par l’arrêté en date du 30 septembre 2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire.
Il va également préciser que la demande des parents doit être regardée comme « une manifestation directe des croyances religieuses. » Cependant, il va ajouter que l’expression de la liberté de religion au travers de prescriptions alimentaires ne saurait conduire d’une part, à méconnaître les dispositions législatives et réglementaires évoquées ci-avant qui, guidées par un objectif de santé publique, commandent au service gestionnaire de ce service public de veiller à l’équilibre nutritionnel des repas servis aux enfants, et d’autre part, à porter atteinte au fonctionnement normal de ce service public. Également, il va souligner que « la restauration scolaire constitue un service public dont la fréquentation est facultative et auquel les usagers peuvent recourir dans la mesure compatible avec leurs convictions religieuses ».
Le tribunal va en conclure que « le maire de la commune de Sannois, en opposant un refus à une demande d’aménagement particulier des repas servis au jeune A…, n’a pas porté atteinte, au regard des stipulations et dispositions précitées, à la liberté de religion de l’enfant ni à sa liberté d’exprimer sa religion par le respect de prescriptions alimentaires ». Ce faisant, il va rejeter leur requête [15].
En décembre 2012, cinq associations de végétariens et de défense de bien-être des animaux avaient déposé un recours devant le Conseil d’État pour réclamer l’abrogation du décret n° 2011-1227 du 30 septembre 2011 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre de la restauration scolaire [16] et de son arrêté du 30 septembre 2011, qui rendent obligatoire la présentation d’un certain nombre de repas par semaine à base de produits d’origine animale. Si le décret en l’état ne prohibe pas de servir un repas végétarien hebdomadaire, il ne permettrait pas aux structures de restauration collective d’en servir plusieurs au cours de la semaine. Le Conseil d’État a rejeté cette requête en considérant que la fréquentation du service public de la restauration scolaire est facultative et que l’arrêté ne fait pas obstacle à l’exercice des choix alimentaires dictés à leurs usagers par leur conscience [17].
Un maire peut-il supprimer le menu de substitution du service de restauration scolaire des écoles publiques de sa commune sans violer la liberté de conscience et de culte ?
Le maire de Chalon-sur-Saône a adressé le 10 mars 2015 un courrier aux familles de la commune pour les informer qu’il « a décidé en matière de restauration scolaire de revenir, à compter de la rentrée de septembre 2015, à la pratique d’un menu unique sans plat de substitution », pour des motifs tirés du respect du principe de laïcité. Un communiqué de presse du 16 mars 2015, indique que la mairie « a décidé de mettre un terme à la pratique installée dans la collectivité depuis 31 ans, qui consistait à proposer un menu de substitution dès lors qu’un plat contenant du porc était servi dans les cantines ». Cette mesure a provoqué une vaste polémique. En effet, toutes les cantines scolaires en France proposent des menus de substitution. Un recours en référé-suspension a été introduit fin mars 2015 par la ligue de défense judiciaire des musulmans.
Dans son ordonnance du 12 août 2015, le juge des référés rappelle d’abord que « si l’usage du service de restauration scolaire dans les écoles publiques est facultatif, il doit en principe pouvoir être utilisé par tous les parents qui désirent y placer leurs enfants, sous réserve des nécessités du service ». Il ajoute « qu’il appartient aux autorités compétentes de veiller à ce que les règles et modalités d’organisation et de gestion de ce service n’aboutissent pas, de fait, à priver certaines catégories de famille de la possibilité d’y accéder pour des questions liées à leurs opinions religieuses ».
Il va relever que la commune « a confié l’élaboration des repas servis dans les services de restauration scolaire à un prestataire, qui informe de manière périodique les familles des menus proposés », et que ceux « proposés à compter de la prochaine rentrée scolaire et jusqu’aux vacances d’automne sont déjà imprimés et seront tenus à la disposition des familles dès la rentrée ». Il va constater que « ces menus ne comportent durant l’ensemble de la période qu’un seul repas comportant de la viande de porc, proposée en entrée lors du repas du 15 octobre 2015 ».
Il va en conclure que, « eu égard au contenu des menus proposés aux enfants et aux mesures d’information mises en place à l’attention des familles, l’accès aux services de restauration scolaire de l’ensemble des usagers, y compris les enfants de confession musulmane, ne paraît pas compromise ». Ainsi, pour le juge des référés « il n’apparait pas que la décision contestée serait susceptible de porter une atteinte suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation » de la requérante ou aux intérêts qu’elle défend. La condition d’urgence n’étant pas remplie, la requête de l’association est rejetée [18].
Par une délibération du 29 septembre 2015, le conseil municipal de Chalon-sur-Saône a approuvé le règlement des restaurants scolaires portant suppression du menu de substitution lorsque du porc est servi. Un recours en référé-suspension a été introduit le 2 octobre 2015 par différents requérants dont la ligue de défense judiciaire des musulmans. À travers la requête, il était demandé au tribunal de suspendre l’exécution de la délibération du conseil municipal du 29 septembre 2015 mais aussi du règlement des restaurants scolaires annexé à cette délibération que celle-ci a approuvé, en ce que ces décisions ont supprimé le menu de substitution lorsque du porc est servi. Les requérants soutenaient que l’exécution des décisions attaquées aurait pour effet de stigmatiser les enfants de confession musulmane et de les exclure du service public de restauration scolaire.
Le juge des référés va d’abord rappeler que les parents étaient informés de cette mesure car « par une lettre circulaire du 10 mars 2015, le maire de Chalon-sur-Saône a indiqué aux parents d’élèves chalonnais que serait désormais mise en œuvre dans les restaurants scolaires de la ville, à partir de la rentrée de septembre, la pratique du menu unique sans plat de substitution ». De plus, le maire a publié le 16 mars 2015 un communiqué de presse « faisant état de cette nouvelle pratique, qui a été largement repris par les médias nationaux et locaux. »
Ensuite, il va analyser le règlement des restaurants scolaires de Chalon-sur-Saône tel qu’adopté par la délibération du 29 septembre 2015. Il en ressort qu’aux termes de l’article I de ce règlement : « La Ville de Chalon-sur-Saône s’engage à accueillir tous les enfants scolarisés dont les familles le souhaitent à la restauration scolaire (…) » ; qu’aux termes de l’article II : « Les enfants peuvent fréquenter la restauration scolaire, après acceptation du dossier d’inscription par la Mairie (…) » ; qu’aux termes de l’article IV : « (…) Les menus sont affichés au restaurant scolaire et dans les différentes écoles, pour la semaine, pour que les familles soient avisées à temps d’incompatibilités éventuelles. Par ailleurs, au début de chaque période bimestrielle, les menus pour la période à venir sont mis à disposition des familles dans les restaurants scolaires au travers des enfants » ; qu’aux termes de l’article V : « (…) les surveillants s’assurent que les enfants prennent leur repas ensemble sans qu’une répartition à table fondée sur des pratiques alimentaires ne soit imposée, organisée ni encouragée (…) En aucun cas, les agents en charge de l’organisation ne peuvent tenir de listes nominatives sur les habitudes alimentaires fondées sur des pratiques religieuses (…) En aucun cas, un enfant ne sera tenu de recevoir quelque type de nourriture qu’il refuserait (…). »
Le juge des référés va relever « que l’inexécution de ces dispositions, depuis l’adoption du règlement intérieur en cause, n’est ni démontrée ni même alléguée. » Il va noter que « les menus du mois sont accessibles sur le site internet de la commune de Chalon-sur-Saône ». Enfin et surtout, il va constater « qu’il ressort de la programmation des menus des restaurants scolaires de Chalon-sur-Saône jointe à la défense que du porc n’a été prévu, entre la date de la présente ordonnance et la fin de l’année 2015, que le 5 novembre et le 15 décembre, soit pour deux seulement des cinquante menus programmés pendant cette période. » Également, Il va informer que le juge du fond du Tribunal, se prononcera sur la légalité des décisions attaquées dans un délai qui ne devrait pas excéder trois mois.
Ainsi, il va conclure que « l’exécution des décisions attaquées ne peut pas être regardée comme portant une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts que les requérants entendent défendre », que la condition d’urgence n’est pas ainsi remplie et donc rejeter la requête [19].
Les collectivités locales disposent d’une grande liberté dans l’établissement des menus et le fait de prévoir des menus en raison de pratiques confessionnelles ne constitue ni un droit pour les usagers ni une obligation pour les collectivités [20]. Ainsi, le Conseil d’État a jugé, dans une ordonnance du 25 octobre 2002, que la circonstance qu’une commune serve du poisson le vendredi dans ses cantines scolaires mais refuse de tenir compte des prescriptions alimentaires en vigueur dans les autres cultes ne constituait pas une atteinte aux droits fondamentaux [21].
Une mère de famille est-elle tenue de retirer son voile lorsqu’elle accompagne des enfants dans le cadre d’une sortie scolaire ?
Par une mention inscrite le 16 décembre 2013 sur le carnet de liaison de son enfant, scolarisé en cours élémentaire deuxième année à l’école élémentaire Jules Ferry de Nice, une maman a été informée de ce que l’administration recherchait des parents désireux d’accompagner une sortie scolaire organisée le 6 janvier 2014. Cette maman a fait connaître sur ce même document qu’elle était disponible pour participer à cet accompagnement et a interrogé l’administration sur la possibilité de conserver son voile à cette occasion. Il lui a été répondu par la même voie que « Nous n’avons malheureusement plus le droit d’être accompagnés par les mamans voilées. Vous ne pourrez nous accompagner que si vous l’enlevez ».
Cette maman va saisir le tribunal administratif de Nice. Au travers sa requête, elle soutenait, entre autres, que la décision de l’administration est insuffisamment motivée, notamment en droit et qu’aucun texte n’interdit aux parents accompagnant une sortie scolaire d’exprimer de façon passive leurs croyances religieuses.
Dans son jugement du 9 juin 2015, le tribunal va d’abord rappeler que « les parents d’élèves autorisés à accompagner une sortie scolaire à laquelle participe leur enfant doivent être regardés, comme les élèves, comme des usagers du service public de l’éducation. » Ensuite, il précise que « les restrictions à la liberté de manifester leurs opinions religieuses ne peuvent résulter que de textes particuliers ou de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service ». Enfin, il constate que dans sa réponse, l’administration ne se prévaut « ni d’une disposition légale ou règlementaire précise, ni de considérations liées à l’ordre public ou au bon fonctionnement du service ». Ainsi, le tribunal va conclure que la décision prise par l’administration est illégale et qu’elle doit être annulée [22].
L’État peut-il être condamné à indemniser un détenu pour lui avoir refusé ou limité l’accès à une assistance spirituelle ?
Par un courrier du 3 décembre 2010, notifié au directeur interrégional des services pénitentiaires de Paris le 17 janvier 2011, un détenu a demandé à l’État de lui verser la somme de 15 euros par jour sur une période comprise entre le 6 décembre 2006 et le 7 janvier 2009, correspondant à sa détention au centre pénitentiaire de Châteauroux, en réparation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de son impossibilité à pratiquer le culte qui est le sien en raison d’un accès limité au ministre du culte Témoin de Jéhovah, aux interdictions de se rendre au parloir avec des ouvrages et publications religieuses et de la confiscation de la littérature religieuse qui lui était transmise par courrier.
Par une décision du 11 mars 2011, le chef du pôle contentieux du bureau de l’action juridique et du droit pénitentiaire a rejeté sa demande indemnitaire. Assisté par Maître Michel Trizac, talentueux avocat au barreau de Paris, ce détenu a saisi, le 2 mai 2011, le tribunal administratif de Paris afin que celui-ci annule cette décision et condamne l’État à lui verser la somme de 11 640 euros en réparation du préjudice qu’il estime avoir subi. Par une ordonnance du 17 janvier 2013, le tribunal administratif de Paris a transmis le dossier de la requête au tribunal administratif de Limoges qui la réceptionna le 22 janvier 2013.
Dans son jugement du 5 mars 2015, le tribunal administratif de Limoges va d’abord rappeler que « aucune disposition législative ou réglementaire ne conditionne la désignation d’un aumônier à un nombre minimum de détenus susceptibles de recourir à son assistance spirituelle ». Il va ajouter qu’en opposant, « l’insuffisance du nombre de détenus se revendiquant de la confession des Témoins de Jéhovah, pour refuser ou limiter [au requérant] l’accès à une assistance spirituelle, l’administration s’est fondée sur un motif erroné et a commis une faute de nature à engager sa responsabilité », de préciser que « l’association “Les Témoins de Jéhovah de France” bénéficie du statut d’association cultuelle régie par la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État ».
Ensuite, il va constater que « le requérant a été privé du droit d’être assisté d’un aumônier agréé lors de sa détention au centre pénitentiaire de Châteauroux ». En effet, il ressort de l’instruction que, quand bien même « un assistant spirituel a pu bénéficier d’un permis de visite » afin de s’entretenir avec le requérant, l’administration pénitentiaire a expressément informé cet assistant spirituel « que le permis de visite lui était attribué « en tant qu’ami de Monsieur B… et non en qualité de ministre du culte ». Ainsi, le tribunal note que ces rencontres n’ont pas pu permettre au requérant de bénéficier d’une assistance spirituelle « dès lors que son assistant spirituel et lui-même se sont vu interdire la possibilité de se munir d’ouvrages religieux lors desdites rencontres au parloir ». Il relève aussi que durant sa détention, le requérant a été privé de son droit à des offices religieux se déroulant dans un local adapté à cet effet, comme en bénéficient les détenus qui disposent d’un tel aumônier. Également, il relève que « l’administration ne démontre pas en quoi l’autorisation de ces services religieux exceptionnels ou le prêt d’une salle adaptée serait impossible tant sur le plan matériel qu’organisationnel, ou risquerait de porter atteinte à la sécurité, d’autant que les détenus d’autres religions qui disposent d’un aumônier agréé, peuvent accéder à ces avantages ».
Enfin, pendant sa détention, le requérant n’a pu avoir accès aux revues religieuses qui lui étaient transmises. Le tribunal va considérer que, de manière générale, les revues religieuses doivent être regardées « comme des objets de pratique religieuse ou des livres nécessaires à la vie spirituelle des personnes détenues ». Il va rappeler que selon les dispositions alors applicables de l’article D.444 du Code de procédure pénale « les détenus peuvent se procurer par l’intermédiaire de l’administration les journaux, périodiques et livres de leur choix sous réserve que ces publications ne contiennent pas de menaces précises contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires ». Il va relever « l’absence de toute menace pour la sécurité invoquée à l’encontre des revues de l’association des Témoins de Jéhovah ». Ainsi, l’administration ne pouvait les retenir ou refuser de les remettre au requérant.
Le tribunal va en conclure que « l’administration a commis des fautes en lui refusant le bénéfice d’un aumônier agréé, en le privant des droits afférents à ce statut et, enfin, en retenant la littérature religieuse émanant des Témoins de Jéhovah qui lui était adressée ». Il va préciser que « les fautes de l’administration pénitentiaire ont nécessairement contribué à altérer les conditions de détention » du requérant et « de jouissance de son droit fondamental d’exercer une pratique religieuse ». Le tribunal va accorder au requérant une indemnité de 3000 Euros au tire du préjudice moral qu’il a subi [23].
Par ce jugement, le tribunal administratif a fait une stricte application de la jurisprudence du Conseil d’État qui, dans une décision du 16 octobre 2013, avait rejeté le pourvoi du Garde des sceaux, Ministre de la justice contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Paris le condamnant à verser une indemnité de 3000 Euros à un détenu en réparation du dommage moral qu’il avait subi suite à la privation de ses droits à la pratique religieuse normale du culte des Témoins de Jéhovah lors de sa détention [24].
Le non-respect des principes de laïcité et de neutralité par un agent d’un service public dans le cadre de ses fonctions peut-il justifier son licenciement ?
La Cour EDH a jugé, jeudi 26 novembre 2015, qu’en vertu des principes de laïcité et de neutralité imposés aux agents du service public en France, le licenciement d’une assistante sociale française pour refus d’ôter son voile sur son lieu de travail ne violait pas l’article 9 de la Convention garantissant le droit à la liberté de religion. Dans un arrêt rendu à l’unanimité, la Cour explique « qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur le modèle français », mais reconnaît que les principes de laïcité et de neutralité des agents du service public poursuivent « le but légitime qu’est la protection des droits et libertés d’autrui ». Elle ajoute : « Les autorités nationales n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation en constatant l’absence de conciliation possible entre les convictions religieuses de [la requérante] et l’obligation de s’abstenir de les manifester. » La Cour rappelle également que les agents publics sont soumis à une neutralité pour préserver l’égalité des usagers devant le service public : « L’État qui emploie la requérante au sein d’un hôpital public peut juger nécessaire qu’elle ne fasse pas état de ses croyances religieuses dans l’exercice de ses fonctions pour garantir l’égalité de traitement des malades » [25].
Dès 1989, le Conseil d’État, dans son avis du 27 novembre affirmait que la laïcité s’imposait aux services publics [26]. Par un avis du 3 mai 2000, il jugeait que les enseignants du secteur public ne disposaient pas, dans le cadre du service public, du droit de manifester leur croyance et leur religion. [27]. Il précisait alors que cette interdiction s’appliquait sans qu’il y ait lieu de distinguer selon que les agents soient ou non chargés de fonctions d’enseignement.
Rappelons aussi les deux arrêts du 27 juillet 2001 et du 29 mai 2002 par lesquels le Conseil d’État a admis que des membres d’une congrégation religieuse « apportant leur concours aux établissements pénitentiaires, pour l’exercice de tâches relevant non de la surveillance des détenues mais de fonctions complémentaires de soutien » puissent exerçaient en habit religieux en faisant remarquer d’une part qu’il ne s’agissait pas de fonctionnaires et d’autre part, qu’en l’absence de tout prosélytisme, leurs fonctions ne portaient pas atteinte au principe de laïcité [28].
Également, dans un arrêt dit « CPAM » rendu le 19 mars 2013, la Cour de cassation a jugé pour la première fois que les principes de neutralité et de laïcité du service public s’appliquaient à l’ensemble des services publics même quand ils sont assurés par des organismes de droit privé. Si les dispositions du Code du travail s’appliquent aux agents des CPAM, ils sont toutefois soumis à des « contraintes spécifiques du fait qu’ils participent à une mission de service public, lesquelles leur interdisent notamment de manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs, en particulier vestimentaires » [29].
Olex.