Un passage de la Bible déclare : « temps et événements imprévus arrivent à tous » (Ecclésiaste 9:7). Malheureusement, tout humain peut être l’objet d’une maladie, d’un accident ou d’un handicap altérant ses facultés et le rendant incapable de défendre ses intérêts.
C’est ainsi que le législateur a mis en place différents dispositifs de protection juridique des majeurs afin de garantir à tout citoyen le droit d’être protégé pour le cas où il ne pourrait plus s’occuper seul de ses intérêts et de ses biens. Le chapitre II, du titre XI, du livre 1er du Code civil traite de ces dispositifs, qui ont été renforcés par la loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs (entrée en vigueur le 1er janvier 2009).
Ainsi, l’article 425 du Code civil dispose que « toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre. La loi prévoit un régime de protection juridique, plus ou moins souple suivant le degré d’incapacité du majeur. Sauvegarde de justice, curatelle et tutelle constituent les trois principaux piliers de la protection juridique des majeurs. S’il n’en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l’une de ces deux missions ».
La sauvegarde de justice est régie par les articles 433 à 439 du Code civil, la curatelle et la tutelle des majeurs par les articles 440 à 476 du Code civil. C’est le juge des tutelles qui déterminera la mesure la mieux adapter en tenant compte du degré d’altération des facultés mentales et /ou corporel qui empêche l’expression de la volonté du majeur à protéger. Il prendra sa décision après expertise médicale et audition de la personne à protéger et de ses proches.
La personne placée sous sauvegarde de justice, conservant l’exercice de ses droits, peut valablement disposer de ses biens, contracter un emprunt. Elle peut donc librement exprimer ses convictions et croyances, pratiquer un culte, en changer ou choisir de ne plus le pratiquer. Mais qu’en est-il du majeur sous tutelle ou curatelle apte à comprendre, à exprimer sa volonté et à décider pour lui-même ?
Alors que le majeur en tutelle ne peut agir seul et doit être représenté par son tuteur pour tous les actes de la vie civile, le majeur en curatelle n’est qu’assisté et peut faire seul tous les actes qu’un tuteur peut accomplir sans l’autorisation du conseil de famille [1]. Un majeur protégé peut-il librement choisir sa religion et/ou en changer et exprimer ses convictions ?
Le décret n°2008-1556 du 31 décembre 2008 a créé une annexe 4-3 au Code de l’action sociale et de la famille intitulée : charte des droits et libertés de la personne majeure protégée. L’article 2 de cette Charte affirme le principe de non-discrimination envers la personne majeure protégée. Il dispose que « nul ne peut faire l’objet d’une discrimination en raison de son sexe, de l’origine, de sa grossesse, de son apparence physique, de son patronyme, de ses caractéristiques génétiques, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son handicap, de son âge, de ses opinions et convictions ou croyances, notamment politiques ou religieuses, de ses activités syndicales, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée lors de la mise en œuvre d’une mesure de protection. » Ainsi, toute personne faisant l’objet d’une mesure de protection ne peut faire l’objet de discriminations en raison de ses croyances et de son appartenance à une religion déterminée. De même, le juge ne peut se fonder ni sur l’appartenance vraie ou supposée à une religion, ni aussi sur les croyances religieuses d’une personne, pour décider telle ou telle mesure de protection.
L’alinéa 2 de l’article 459-2 du Code civil précise que la personne placée sous curatelle ou tutelle « entretient librement des relations personnelles avec tout tiers, parent ou non. Elle a le droit d’être visitée et, le cas échéant, hébergée par ceux-ci. » Ces dispositions sont reprises à l’article 4 (liberté des relations personnelles) de la Charte précitée, qui les étend à toutes les mesures de protection juridique des majeurs. Ainsi, un majeur protégé peut rencontrer librement les ministres du culte d’une église, en côtoyer les fidèles, se rendre dans un lieu de culte, participer aux offices religieux mais aussi exprimer ses convictions, ses croyances et les faire connaître à des tiers.
L’article 7 (droit à l’autonomie) de la Charte dispose que « conformément à l’article 458 du code civil, sous réserve des dispositions particulières prévues par la loi, l’accomplissement par la personne des actes dont la nature implique un consentement strictement personnel ne peut jamais donner lieu à assistance ou représentation. Conformément à l’article 459 du code civil, dans les autres cas, la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet. » Donc, un majeur protégé est libre de ses opinions, convictions ou croyances. Il est libre d’appartenir à une religion et peut en changer librement. Choisir d’appartenir à une religion est un acte dont la nature implique un consentement strictement personnel. Le curateur ou le tuteur du majeur protégé ne peut s’y opposer.
La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme vient aussi garantir les droits des majeurs protégés. Nous pouvons citer les articles 5 (droit à la liberté et à la sûreté), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion), 10 (liberté d’expression), 11 (liberté de réunion et d’association), 14 (interdiction de discrimination) de la Convention. De plus, la Cour européenne des droits de l’homme reconnait sur le fondement du droit à la vie privée « la faculté de chacun à mener sa vie comme il l’entend » [2].
Prenons par exemple le cas de M. P qui, âgé de 78 ans au moment des faits, fut admis en mars 1998 comme résident de la maison de retraite gérée par un hôpital local d’Orbec. Par une ordonnance du juge des tutelles auprès du tribunal d’instance de Mantes-la-Jolie en date du 4 juin 1998, M. P fut placé sous tutelle auprès du directeur de l’hôpital local d’Orbec. M. P a sollicité la venue d’un ministre du culte de l’Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Lisieux en vue de bénéficier d’une assistance spirituelle. L’association locale a chargé M. D d’apporter à M. P cette assistance spirituelle, à raison d’une visite d’une durée d’une heure environ chaque samedi après-midi. Les visites rendues par M. D à M. P pendant plusieurs mois avaient pour objet d’assurer un enseignement biblique et de procurer à M. P une aide spirituelle.
Pourtant, par une décision du 15 mars 2005, le directeur de l’hôpital va interdire à M. D mais aussi à tout membre de l’association de rendre visite à M. P. Le directeur de l’hôpital motivait sa décision en arguant que l’association était officiellement reconnue comme appartenant aux mouvements sectaires et que l’état de santé de M. P nécessitait qu’il soit protégé. Bien que par un document manuscrit en date du 2 avril 2005, M. P va manifester le souhait de continuer à recevoir les visites du représentant de l’association, le directeur de l’hôpital maintiendra son interdiction.
Un recours pour excès de pouvoir et une demande de suspension de l’exécution de la décision ont été introduits en référé par l’association et M. D devant le tribunal administratif de Caen. Pour rappel, la suspension de l’exécution est accordée par le juge des référés si sont remplies les deux conditions prévues par l’article L. 521-1 du code de justice administrative : d’une part, il faut une situation d’urgence, d’autre part, il faut que le requérant soulève une contestation de la légalité de l’acte attaqué qui apparaisse au juge des référés, au moment où il se prononce, suffisamment sérieuse pour justifier qu’on en suspende l’exécution en attendant le jugement définitif.
Par ordonnance rendue le 26 avril 2005, le juge des référés du tribunal administratif de Caen va suspendre la décision d’interdiction des visites estimant que les conditions d’urgence et de doute sérieux sur la légalité de l’acte attaqué sont remplies [3]. Il sera procédé ultérieurement à un examen au fond de la légalité de la décision.
C’est ainsi que par un jugement du 2 octobre 2007, le tribunal administratif va annuler la décision prise le 15 mars 2005 par le directeur de l’hôpital. Pourquoi ? Tout d’abord, le tribunal va juger que le directeur de l’hôpital ne pouvait, pour prendre sa décision, « se prévaloir d’un rapport établi par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale classant les Témoins de Jéhovah parmi les sectes, un tel rapport étant dépourvu de valeur juridique ». Ensuite, il va estimer que le directeur « n’établit pas que les visites rendues à M. P., à la demande de celui-ci, par un membre de l’Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Lisieux, à raison d’une heure par semaine, présentaient un danger pour la santé tant physique que mentale de l’intéressé, qu’elles menaçaient ses intérêts, protégés par la mesure de tutelle dont il fait l’objet, ni qu’elles constituaient une gêne pour le fonctionnement normal du service public ». Enfin, il va en conclure « qu’en prenant la mesure d’interdiction attaquée, qui, de plus, présente un caractère général et absolu, le directeur de l’hôpital a porté une atteinte illégale au droit des requérants de visiter M. P. et d’aborder avec lui des thèmes religieux ou spirituels » [4].
Le doute n’est pas permis : une personne majeure bénéficiant d’une mesure de protection juridique des personnes ne peut voir, en raison de cette mesure, la pratique de sa religion lui être interdite, restreinte ou limitée. De même, il n’est pas possible d’interdire à un ministre du culte de rencontrer un majeur protégé lorsque ce dernier est à l’initiative de la rencontre et que sa demande est exprimée de manière non équivoque et éclairée.
Il existe d’autres dispositifs de protection des majeurs mais qui n’ont pas d’impact direct sur la pratique d’un culte. Nous pouvons citer les mesures d’accompagnement des majeurs (articles L.271-1 à L.271-8 du Code de l’action sociale et de la famille et articles 495 à 495-9 du Code civil) pour ceux dont les facultés mentales ne sont pas altérées mais qui sont dans une grande difficulté sociale et qui perçoivent des prestations sociales. Il y a aussi le mandat de protection future qui permet à une personne (mandant) de désigner à l’avance la ou les personnes (mandataires) qu’elle souhaite voir être chargées de veiller sur sa personne et/ou sur tout ou partie de son patrimoine, pour le jour où elle ne serait plus en état, physique ou mental, de le faire seule. Le mandat peut aussi être établi pour autrui par les parents souhaitant organiser à l’avance la défense des intérêts de leur enfant souffrant de maladie ou de handicap (articles 477 à 494 du Code civil).
Un projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, déposé le 3 juin 2014, est actuellement en discussion devant l’Assemblée nationale. Dans le cadre des débats en cours, un amendement envisage d’aménager le dispositif du mandat de protection future.
Sous réserve d’un vote définitif du Parlement, l’aménagement serait double : d’abord, alors qu’aucune durée n’est actuellement prévue, le mandat serait désormais conclu pour une période maximale de 5 ans, un décret devant fixer les conditions de son renouvellement ; ensuite, tout mandat de protection future, ainsi que son renouvellement, sera enregistré au Fichier central des dispositions de dernières volontés. Ce double aménagement concerne également le mandat de protection future pour autrui.
Olex.