Face aux arrêts successifs de la Cour européenne des droits de l’homme qui protègent les libertés religieuses des Témoins de Jéhovah, divers militants prétendent que la juridiction suprême n’a pas conscience des dérives sectaires de la dénomination chrétienne. Est-ce vraiment le cas ?
Contrairement à ce que laissent entendre ces personnes engagées dans la lutte contre certaines minorités spirituelles, les juges européens ne prennent pas leurs décisions à la légère. Ils examinent chaque affaire dans le fond, ainsi que les conséquences de leur prise de position finale.
Par exemple, dans le récent dénouement de l’affaire de taxation du denier du culte des Témoins de Jéhovah en France [1], la CEDH ne s’est pas limitée à discuter de la formulation du texte législatif utilisé à cette fin par l’administration fiscale. Tout le contexte a été pris en considération : de nombreuses citations issues de documents juridiques de référence ont clairement établi que cette nouvelle interprétation de la loi fiscale avait été inventée afin d’utiliser un moyen légal de s’attaquer aux ressources financières de mouvements qualifiés de sectes et était appliquée de manière très limitée à ces minorités spirituelles.
Par ailleurs, dans l’arrêt Témoins de Jéhovah de Moscou c. Russie rendu le 10 juin 2010 [2], la cour européenne a pris la peine de reprendre une par une les accusations portées les autorités russes contre la communauté religieuse afin de justifier son interdiction. Quarante-cinq paragraphes (§§109 à 153) développent en détail chacun des points évoqués : destruction des familles ; non respect de la vie privée, des droits parentaux du conjoint non Témoin ; prosélytisme et manipulation mentale ; incitations au suicide et au refus d’assistance médicale ; entraves à l’accomplissement des devoirs civiques… Le communiqué du Greffier résume ainsi l’analyse des sept juges unanimes :
« Toutefois, après avoir examiné en détail les arguments des autorités russes, y compris ceux des juridictions internes, la Cour juge que la décision de dissolution de la communauté requérante ne reposait pas sur une base factuelle adéquate. En particulier, les juridictions internes n’ont pas avancé de motifs pertinents et suffisants pour montrer que la communauté requérante avait forcé des individus à rompre avec leur famille, qu’elle avait porté atteinte aux droits et libertés de ses membres ou de tiers, qu’elle avait incité ses adeptes à se suicider ou à refuser des soins, qu’elle avait porté atteinte aux droits des parents ne faisant pas partie de ses membres ou à leurs enfants, ou encore qu’elle avait encouragé ses membres à refuser de respecter une quelconque obligation légale. Les contraintes imposées par la communauté requérante à ses membres, telles que la prière, la diffusion de leur foi par porte à porte et certaines restrictions quant à leurs activités de loisirs, ne sont pas fondamentalement différentes de contraintes analogues imposées par d’autres religions à leurs fidèles dans la sphère privée. De plus, la conclusion des juridictions internes selon laquelle certaines personnes avaient été forcées de rejoindre la communauté n’est étayée par aucun élément. Le fait que la communauté requérante prêchait le refus des transfusions sanguines même en cas de danger de mort n’est pas suffisant pour déclencher l’application d’une mesure aussi radicale que l’interdiction de ses activités, étant donné que le droit russe laisse aux patients la liberté de choix quant au traitement médical qu’ils souhaitent suivre [3]. »
L’ensemble des reproches faits aux Témoins de Jéhovah sont finalement balayés par la CEDH après un examen approfondi des arguments des parties impliquées.
Encore faudrait-il que les gens qui critiquent les arrêts de la juridiction siégeant à Strasbourg prennent la peine d’en lire d’abord le contenu !