Conseil d’État, 4 mai 2012
Lieu de culte - Construction - Entraves à une liberté fondamentale

- Modifié le 13 janvier 2017

Conseil d’État

N° 358939

Inédit au recueil Lebon

Juge des référés

M. Jacques Arrighi de Casanova, rapporteur

CARBONNIER ; BLONDEL, avocat

lecture du vendredi 4 mai 2012

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête, enregistrée le 30 avril 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour la COMMUNE D’ETAMPES (Essonne), représentée par son maire ; la commune demande au juge des référés du Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance n° 1202112 du 13 avril 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, statuant sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lui a enjoint de libérer l’accès par les véhicules au terrain d’assiette de la construction autorisée par le permis de construire délivré le 12 novembre 2010 à l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Etampes, dans la mesure nécessaire à l’accès de véhicules de chantier, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de cette association le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que l’ordonnance dont l’annulation est demandée est insuffisamment motivée ; qu’il n’existe aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété dès lors que les barrières litigieuses ne privent pas le terrain d’assiette de la construction projetée par l’association de tout accès à la voie publique ; que le simple fait que la péremption du permis de construire accordé à l’association puisse intervenir le 12 novembre 2012 ne suffit pas à caractériser l’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Vu l’ordonnance attaquée ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2012, présenté pour l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Etampes, qui conclut au rejet de la requête, à ce que la somme de 6 000 euros soit mise à la charge de la COMMUNE D’ETAMPES au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et, par la voie de l’appel incident, à ce que l’injonction accordée en première instance soit assortie d’une astreinte de 800 euros par jour de retard ; elle soutient que l’ordonnance dont l’annulation est demandée est suffisamment motivée ; que la privation de tout accès par des véhicules de chantier au terrain d’assiette de la construction projetée porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété ; que la condition d’urgence est remplie compte tenu de l’impossibilité de commencer les travaux avant la péremption prochaine du permis de construire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d’une part, la COMMUNE D’ETAMPES et, d’autre part, l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Etampes ;

Vu le procès-verbal de l’audience publique du 3 mai 2012 à 14 heures 30, au cours de laquelle ont été entendus :

 Me Carbonnier, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de la COMMUNE D’ETAMPES ;

 Me Blondel, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, avocat de l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Etampes ;

 les représentants de l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Etampes ;

et à l’issue de laquelle l’instruction a été close ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. » ;

Considérant que, par l’ordonnance dont la COMMUNE D’ETAMPES fait appel, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles lui a enjoint, sur le fondement de ces dispositions, de libérer l’accès par les véhicules au terrain d’assiette de la construction autorisée par le permis de construire délivré le 12 novembre 2010 à l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Etampes, dans la mesure nécessaire à l’accès de véhicules de chantier, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de son ordonnance, sans toutefois faire droit aux conclusions tendant à ce que cette injonction soit assortie d’une astreinte ; que, par la voie de l’appel incident, l’association demande au juge des référés du Conseil d’Etat de prononcer une astreinte de 800 euros par jour de retard ;

Sur l’appel principal de la commune :

Considérant qu’il résulte de l’instruction que le maire d’Etampes a délivré le 12 novembre 2010 à l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Etampes un permis de construire pour un bâtiment à usage de salle de culte sur un terrain situé rue des Maraîchers dans cette commune ; que des barrières en bois ont été posées le long de la limite entre ce terrain et cette voie communale et que le poteau en bois dont l’injonction prononcée par l’ordonnance attaquée implique l’enlèvement a été implanté entre deux barrières ; qu’aucune des pièces produites par la commune à l’appui de son appel ni des indications fournies à l’audience ne peuvent conduire à remettre en cause les constatations du premier juge qui a estimé, d’une part, que ce poteau est situé sur le domaine public communal et que son implantation entre les deux barrières en cause a pour effet d’empêcher tout accès au terrain des engins de chantier nécessaires à l’exécution des travaux autorisés - cette dernière circonstance étant au demeurant corroborée par les attestations produites par l’association en appel - et, d’autre part, qu’aucun motif tiré des nécessités de la conservation du domaine public ou de l’entretien de la voie ne justifie un tel aménagement ; qu’en faisant procéder, dans ces circonstances, à l’installation d’un dispositif empêchant l’accès au terrain de l’association des véhicules nécessaires à la réalisation des travaux projetés, le maire d’Etampes a, ainsi que l’a jugé à bon droit le juge des référés, porté au libre accès des riverains à la voie publique, lequel constitue un accessoire du droit de propriété, et par là-même à une liberté fondamentale, une atteinte grave et manifestement illégale ;

Considérant que la privation, dans les circonstances particulières de l’espèce, de tout accès des véhicules de chantier au terrain en cause et, de ce fait, de toute possibilité de mener à bien le projet de construction pour lequel elle a obtenu un permis de construire constitue, pour l’association, une situation d’urgence justifiant que le juge administratif des référés fasse usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la COMMUNE D’ETAMPES n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, qui est suffisamment motivée, le juge des référés du tribunal administratif de Versailles lui a enjoint de libérer l’accès au terrain en cause ;

Sur l’appel incident de l’association :

Considérant qu’il n’est pas contesté que l’injonction prononcée par l’ordonnance attaquée n’a fait l’objet d’aucune mesure d’exécution, alors que le délai qui était imparti à la commune pour ce faire est expiré ; qu’il y a lieu, dans ces conditions, de faire droit aux conclusions incidentes de l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Etampes et de prononcer à l’encontre de la COMMUNE D’ETAMPES, à défaut pour elle de justifier de l’exécution de l’ordonnance du 13 avril 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Versailles dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, une astreinte de 500 euros par jour jusqu’à la date à laquelle cette décision aura reçu exécution ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l’association le versement de la somme demandée par la commune au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu’il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de cette dernière le versement d’une somme de 3 000 euros à l’association à ce même titre ;

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la COMMUNE D’ETAMPES est rejetée.

Article 2 : Une astreinte de 500 euros par jour est prononcée à l’encontre de la COMMUNE D’ETAMPES s’il n’est pas justifié de l’exécution de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 13 avril 2012 dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance. La commune communiquera au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour procéder à cette exécution.

Article 3 : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 13 avril 2012 est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 4 : La COMMUNE D’ETAMPES versera à l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Etampes la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la COMMUNE D’ETAMPES et à l’association locale pour le culte des témoins de Jéhovah d’Etampes.