Droit administratif

Un tribunal recadre la Miviludes sur la communication de documents

TA Paris, 16 mai 2025

- Modifié le 2 juin

Par deux jugements rendus le 16 mai 2025, le Tribunal administratif de Paris a condamné la Miviludes dans deux affaires l’opposant à la Coordination des Associations et des Particuliers pour la Liberté de Conscience (CAPLC).

Tribunal administratif de Paris
Salle d’audience du Tribunal administratif de Paris
(Aroche – CC By-SA)

D’une part, le juge administratif a annulé des mentions dans son rapport d’activité 2021 à propos du refus de communication de documents administratifs, parce qu’elles étaient « entachée[s] d’une erreur de droit ».

D’autre part, il a ordonné à la Miviludes de communiquer à l’association CAPLC plusieurs documents administratifs relatifs à l’exécution des subventions reçues par l’Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu (UNADFI).

Cette obligation de transparence est d’autant plus importante que la Cour des comptes a constaté en 2024 des problèmes de contrôle et de suivi de l’exécution des subventions accordées par la Miviludes [1], bien au-delà du scandale du « fonds Marianne », pour lequel l’information judiciaire ouverte par le Parquet national financier (PNF) est toujours en cours d’instruction [2] pour « détournement de fonds publics par négligence », « abus de confiance » et « prise illégale d’intérêts [3] ».

À partir d’une expertise d’autres documents comptables obtenus auprès de l’administration, l’association CAPLC a déjà déposé des plaintes auprès du PNF [4], avec des analyses particulièrement bien étayées à l’encontre de deux associations de lutte contre les sectes [5].

Prise de position erronée

Dans sa première décision du 16 mai 2025, le Tribunal administratif de Paris examine la demande d’annulation de certains passages du rapport annuel d’activité 2021 de la Miviludes. Il recadre ainsi la mission en apportant quelques précisions utiles sur le droit à la communication des documents administratifs et les exceptions prévues.

Tout d’abord, il rejette partiellement la demande de l’association pour les deux premiers extraits, bien qu’ils contiennent une « mention erronée » (§ 4) et une « interprétation du droit positif […] approximative […] et incomplète » (§ 5). En effet, ils ne sont pas « susceptibles d’exercer de manière significative une influence sur les comportements des personnes demandant à la mission la communication des documents administratifs qu’elle détient » (§ 6), comme le nécessite une intervention du juge de l’excès de pouvoir (§ 3).

Rapport 2021 de la Miviludes
Rapport d’activité 2021 de la Miviludes
© Miviludes – CIPDR

En revanche, le juge écarte la fin de non-recevoir sur la prise de position de la Miviludes au sujet du caractère communicable des documents qu’elle détient sur le financement des associations, notamment dans le cadre d’un appel à projets lancé le 20 mai 2021 :

« Ces prises de position […] doivent être regardées comme étant de nature à produire des effets notables sur les demandes de communication de documents administratifs présentées devant elle. Dès lors […] que l’association requérante demande de manière habituelle à la Miviludes la communication de documents administratifs relatifs à la politique de lutte contre les dérives sectaires, ces prises de position doivent être regardées, dans les circonstances de l’espèce, comme lui faisant grief. »

Ensuite, sur la légalité de ces prises de position, le tribunal rejette les différentes justifications avancées par la Miviludes pour refuser de communiquer les documents relatifs aux subventions versées aux associations.

Premièrement, alors que la mission interministérielle affirme que « les informations concernant cet appel à projets seront consultables dans les annexes du projet de loi de finance pour l’année 2022 qui retracera les attributions de crédits », le jugement rappelle le droit à la communication des documents administratifs consacré par les articles L. 311-1 à L. 311-6 du Code des relations entre le public et l’administration. Puis il conclut :

« Ainsi, en application de l’article L. 311-2 de ce code, ce n’est que dans le cas où les documents font l’objet d’une diffusion publique que le droit à communication ne s’exerce plus et non lorsque toute ou une partie des informations contenues dans ces documents ont été publiquement diffusées. » (§ 8)

Deuxièmement, en ce qui concerne le caractère abusif des demandes et « une volonté d’entraver le fonctionnement du service de la Mission interministérielle », le jugement précise après avoir repris la jurisprudence constante du Conseil d’État :

« Toutefois, toute demande portant sur une quantité importante de documents ou le fait pour une même personne de présenter plusieurs demandes à la même autorité publique ne sont pas nécessairement constitutives de demandes abusives. En outre, la personne qui demande la communication de documents administratifs n’a pas à justifier de son intérêt à ce qu’ils lui soient communiqués. » (§ 9)

Néanmoins, le juge peut éventuellement prendre en compte l’intérêt d’une telle demande lorsqu’elle fait peser sur l’administration « une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose ».

Par conséquent, « la mission a méconnu les dispositions précitées en restreignant les éléments à prendre en compte pour apprécier, au cas par cas, si une demande de communication présente ou non un caractère abusif » (§ 10).

Troisièmement, le juge estime que c’est à tort que la Miviludes a affirmé de manière générale que « la consultation ou la communication des documents administratifs qui se rattachent à l’exercice des missions de la Miviludes […] porterait atteinte à la sûreté de l’État, à la sécurité publique et à la sécurité des personnes ».

Pour chacun de ces trois points, le Tribunal administratif de Paris considère que « l’association requérante est fondée à soutenir que cette mention du rapport est entachée d’une erreur de droit ».

Enfin, ce n’est que pour les signalements adressés à la Miviludes que le juge administratif admet un refus systématique, avec une motivation reprise d’un récent arrêt du Conseil d’État [6].

L’État français est donc condamné à verser 1 500 € à l’association au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Transparence exigée sur les subventions publiques

Dans la seconde affaire, l’association CAP pour la Liberté de Conscience a demandé au secrétaire général du Comité Interministériel pour la Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (SG-CIPDR), qui préside dès lors la Miviludes, la communication de divers documents administratifs relatifs à l’exécution des subventions destinées à l’UNADFI au titre du Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) 2021.

Faute de réponse, l’association a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui a émis un avis favorable le 6 juillet 2023 [7]. Devant le silence du président de la mission interministérielle, l’association a demandé au tribunal administratif compétent l’annulation de cette décision implicite de refus.

Après avoir apporté les mêmes explications sur ce qui caractérise les « demandes abusives » (§ 6), le Tribunal administratif de Paris contredit les allégations du ministère de l’Intérieur :

« si le ministre de l’intérieur se prévaut de quatre demandes présentées en moins d’un an de septembre 2021 à juillet 2022 relatives aux subventions accordées à l’UNADFI, il n’établit cependant pas que ces demandes, pas plus que la présente demande, avaient ou a pour objet de perturber le fonctionnement du service public ou pour effet de faire peser sur l’administration une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Dans ces conditions, la demande de l’association requérante ne présente pas un caractère abusif. » (§ 7)

Par ce second jugement du 16 mai 2025, le tribunal enjoint à la Miviludes de communiquer à CAPLC les documents demandés, « sous réserve de l’occultation des mentions couvertes par un secret protégé par la loi », hormis ceux dont l’existence n’est pas établie.

L’État français est à nouveau condamné à verser 1 500 € à l’association au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Thierry Valle, président de l’association CAPLC, se réjouit de ces succès judiciaires :

« Ces décisions réaffirment que la transparence est un impératif démocratique, même pour la Miviludes, qui pourtant a fait du secret et de l’opacité sa marque de fabrique. Nous sommes heureux de contribuer, par ces actions, à garantir l’accès effectif à l’information et la liberté de conscience pour tous. »