Droit administratif

Le Conseil d’État reconsidère la communication des saisines de la Miviludes

Conseil d’État, 26 mars 2025

Le 26 mars 2025, le Conseil d’État a validé le refus du ministère de l’Intérieur de communiquer aux Témoins de Jéhovah les signalements reçus à leur sujet par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Il fait ainsi évoluer sa jurisprudence établie en 2013 à propos de la communication des documents administratifs détenus par la Miviludes [1], en considérant que l’occultation des informations permettant d’identifier des personnes ne serait plus suffisante.

Le rôle des saisines

Les saisines de la Miviludes, constituées de signalements et d’interrogations, prennent un rôle essentiel dans ses rapports annuels d’activité et dans sa communication publique pour alarmer sur l’ampleur présumée du phénomène sectaire.

Infographie de la Miviludes
Information diffusée régulièrement par la Miviludes sur les réseaux sociaux pour générer des saisines
© Miviludes – CIPDR

C’est certainement pour cette raison que la Miviludes encourage régulièrement la population française à la saisir, ne serait-ce que pour poser une simple question (voir ci-contre).

Par exemple, le gouvernement français a lancé en début d’année 2024 une campagne nationale de communication pour « sensibiliser » sur les dérives sectaires [2].

En fait, l’objectif était surtout d’inciter les gens à « repérer les dérives et les signaler [3] », afin de provoquer une nouvelle progression des statistiques.

Avec quel résultat ? Le ministère de l’Intérieur a pu intituler « Dérives sectaires : des signalements en hausse » son communiqué annonçant la parution du rapport d’activité 2022-2024 de la Miviludes. Il y souligne que ce rapport « révèle une augmentation importante du nombre de signalements et demandes d’informations adressées à la Miviludes [4] ».

Pourtant, la conseillère du pôle Santé au sein de la Miviludes a admis lors d’une conférence en 2022 que ces chiffres « ne nous donne[nt] pas la réalité du phénomène sectaire dans la société française aujourd’hui [5] ». Selon elle, la mission « a bien conscience de la limite des possibilités d’interprétation de ces faits ».

La demande de communication des signalements

Pour mieux se défendre face aux accusations régulières à leur encontre dans les publications de la Miviludes, la Fédération chrétienne des Témoins de Jéhovah de France (FCTJF) a demandé la communication des signalements concernant leur confession depuis 2015, auxquels se réfère le rapport 2018‐2020.

Devant le refus du président de la Miviludes, la Fédération a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). S’appuyant sur la jurisprudence traditionnelle du Conseil d’État [6], la commission a rendu un avis positif le 12 mai 2022 [7].

À cette occasion, la Miviludes avait précisé à la commission que les saisines incluent les signalements, mais aussi les interrogations et les échanges institutionnels.

La Miviludes ayant gardé le silence pendant les 2 mois de délai, la FCTJF a contesté ce refus implicite devant la Tribunal administratif de Paris, sans succès [8].

Palais Royal à Paris
Palais Royal à Paris, où siège le Conseil d’État
Domaine public

Décision du Conseil d’État

Finalement, le Conseil d’État vient de rejeter le pourvoi en cassation des Témoins de Jéhovah contre ce jugement du tribunal administratif.

En effet, la haute juridiction administrative estime désormais dans son arrêt du 26 mars 2025 que l’anonymisation des signalements ne suffit plus à permettre leur communication et que la suppression de toute mention permettant d’identifier leur auteur les rendrait probablement inexploitables :

« 5. Toutefois, les signalements qui lui sont adressés par des personnes s’estimant victimes ou témoins de dérives sectaires révèlent, par nature, de la part de celles-ci, un comportement dont la divulgation pourrait leur porter préjudice, compte tenu, en particulier, des risques de représailles auxquelles elles seraient alors exposées. La suppression de tels risques impliquerait non seulement l’occultation de l’identité et des coordonnées de ces personnes, mais également de toute mention figurant dans le signalement permettant leur identification, directe ou indirecte, y compris par recoupement avec d’autres informations dont des tiers auraient déjà connaissance ou pourraient acquérir la connaissance, rendant ainsi, dans la plupart des cas, les documents en cause inintelligibles. »

Les juges soutiennent en outre qu’une telle communication pourrait retenir certaines personnes d’envoyer des saisines à la Miviludes :

« De plus, la perspective que de tels signalements puissent être communiqués à des tiers est susceptible de dissuader leurs auteurs de saisir la Miviludes, ce qui serait de nature à faire obstacle à ce qu’elle puisse remplir ses missions, qui concourent à la prévention et à la répression d’agissements constitutifs d’atteintes à des libertés fondamentales et de menaces à l’ordre public. »

Une méthodologie controversée

Après un recadrement par le juge administratif sur ce que doit contenir ou pas un rapport d’activité [9], le rapport 2022-2024 de la Miviludes se concentre d’autant plus sur les saisines et encore une fois s’attaque particulièrement aux Témoins de Jéhovah avec un manque de sérieux et d’honnêteté intellectuelle manifeste [10].

Cette méthodologie basée sur les saisines de la Miviludes a donc de beaux jours devant elle, malgré les critiques exprimées par différents universitaires [11], sachant que la Miviludes ne dispose d’aucun pouvoir d’enquête pour en vérifier la fiabilité et solliciter les autres parties impliquées [12].

Et maintenant, cette impossibilité d’accéder aux signalements utilisés par la Miviludes, même anonymisés, empêche les premiers visés d’apporter un contradictoire indispensable à tout débat démocratique.

Il devient vraiment problématique que les rapports d’une institution étatique, faisant l’objet d’une large publicité et d’une couverture médiatique importante, se fonde principalement sur les dénonciations déposées sur un site Internet, sans un minimum de contrôle ni la possibilité pour les accusés de présenter leurs observations.

En octobre 2024, la sénatrice Laurence Muller-Bronn interpelait le ministre de l’Intérieur sur « la méthodologie employée pour évaluer l’ampleur des dérives sectaires [qui] fait état d’une augmentation des saisines », alors que « l’augmentation des saisines est en partie expliquée par la communication de la mission [13] ».

De plus, elle constate « le caractère disproportionné de cette communication » comparativement au faible nombre de poursuites qui en découlent (sans présumer d’ailleurs qu’elles aboutiront à une condamnation) :

« Il ne s’agit en aucun cas de minimiser des phénomènes indiscutables mais de souligner le caractère disproportionné de cette communication au regard des chiffres indiqués dans le rapport de 2021 : sur 3 118 saisines traitées en 2021, 514 sont classées sans suite, 391 ont donné lieu à transmission au service compétent pour vérification, 5 informations préoccupantes ont été transmises au président du département sur la situation d’un mineur, et 20 ont fait l’objet d’un signalement au procureur de la République. »

Dans sa réponse écrite, le ministre n’aborde même pas la pertinence de cet indicateur [14].