Droit international

Norvège : La radiation des Témoins de Jéhovah annulée en appel

Cour d’appel de Borgarting, 14 mars 2025

Le 14 mars 2025, la Cour d’appel de Borgarting a annulé les décisions administratives privant les Témoins de Jéhovah de leur enregistrement légal en tant que « communauté religieuse » en Norvège et des subventions de l’État qui en découlent.

Grâce à ce statut officiel qui leur est reconnu depuis 1985, leurs assemblées de fidèles pourront continuer de célébrer des mariages ayant des effets civils et de recevoir les subventions publiques versées aux communautés religieuses en proportion de leur nombre de fidèles.

Filiale des Témoins de Jéhovah en Norvège
Bureaux nationaux des Témoins de Jéhovah en Norvège

À l’origine de cette affaire en 2021, l’ex-témoin de Jéhovah Rolf Furuli avait écrit au ministère de l’Enfance et des Affaires familiales en accusant cette confession de violer le droit de ses membres de changer de religion, en raison de leur pratique consistant à éviter les contacts avec les personnes renvoyées ou volontairement retirées d’une assemblée locale.

Signalons qu’il avait parallèlement soutenu la plainte d’une norvégienne excommuniée par une assemblée locale de Témoins de Jéhovah, mais que la Cour suprême a finalement annulé sa réintégration prononcée en appel [1] et que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rejeté sa requête [2].

La gouverneure du comté d’Oslo et Viken a donc été chargée par le ministère d’évaluer si ces informations pouvaient remettre en cause l’enregistrement des Témoins de Jéhovah, ainsi que les subventions de l’État, sur la base de la Loi sur les communautés religieuses du 24 avril 2020.

La représentante de l’État a estimé que cette pratique d’éviter les contacts avec les personnes excommuniées pourrait contraindre les membres à rester dans la communauté et violerait donc le droit de la quitter librement. Elle a ajouté que l’exclusion de mineurs baptisés pourrait constituer une forme de « contrôle social négatif » et une violation des droits de l’enfant.

Par une première décision du 27 janvier 2022, la gouverneure a refusé les subventions de l’État pour l’année 2021. Puis le 22 décembre 2022, elle a pris la décision de révoquer l’enregistrement des Témoins de Jéhovah en tant que « communauté religieuse » en Norvège. Les subventions publiques pour les années 2022 et 2023 ont également été refusées par deux autres décisions prises en novembre 2023.

Par son jugement du 4 mars 2024, le Tribunal de district d’Oslo a confirmé ces décisions administratives [3].

Cour d'appel de Borgarting
Cour d’appel de Borgarting à Oslo
Crédits : (Anne-Sophie Ofrim – CC By-SA)

Puisque c’est le principal motif invoqué par l’État pour justifier ces refus d’enregistrement et de subventions publiques, la Cour d’appel de Borgarting a examiné la question de « distanciation sociale » à l’égard des membres qui ont été renvoyés ou qui se sont volontairement retirés de la communauté religieuse.

Préalablement, la cour explique que son évaluation repose sur les publications des Témoins de Jéhovah, dans la mesure où les témoignages « confirment que les pratiques des Témoins de Jéhovah en matière de distanciation sociale sont essentiellement conformes à ce qui est décrit dans les documents écrits ».

Tout d’abord, la cour constate que les « liens familiaux » ne sont pas rompus par une excommunication. D’une part, dans un même foyer, les membres de la famille témoins de Jéhovah poursuivent leurs relations quotidiennes avec la personne excommuniée ou retirée, même s’ils ne pratiquent plus d’activité spirituelle en commun.

D’autre part, même s’ils ne vivent pas ensemble, les Témoins de Jéhovah peuvent avoir des contacts avec un membre de la famille excommunié ou retiré pour s’occuper « des questions familiales nécessaires ». La cour cite ainsi en exemple un extrait tiré d’une brochure d’information des Témoins de Jéhovah :

« Si un parent excommunié tombe malade ou n’est plus en mesure de subvenir à ses besoins financiers ou physiques, les enfants Témoins de Jéhovah ont l’obligation biblique et morale de l’aider. De même, si un enfant excommunié ne se porte pas bien physiquement ou émotionnellement, les parents Témoins de Jéhovah prendront soin de lui. »

De toutes façons, l’arrêt précise que même s’il entretient des contacts réguliers avec un membre de sa famille excommunié, un témoin de Jéhovah ne sera pas lui-même renvoyé de l’assemblée, à moins qu’ils aient des échanges spirituels continus ou qu’il s’oppose ouvertement à la décision de renvoi de l’assemblée.

La cour d’appel passe ensuite à la question du droit au retrait libre, prévu par l’article 2 de la Loi sur les communautés religieuses. Elle juge que la doctrine des Témoins de Jéhovah y est bien conforme, puisqu’il est possible de quitter l’organisation par un simple courrier.

Elle rappelle qu’une commission avait envisagé dans les travaux préparatoires de cette loi qu’« une exclusion sociale complète et/ou de graves conséquences économiques » pourraient justifier un refus de subventions. Néanmoins, elle n’a pas recommandé de retenir un tel critère trop complexe à définir dans la loi et le législateur l’a suivie.

Or, dans le cas des Témoins de Jéhovah, non seulement les membres connaissent bien les règles énoncées par l’organisation sur les relations avec les excommuniés, mais encore les liens familiaux demeurent avec les membres de la famille, qu’ils soient témoins de Jéhovah ou non, sans parler des autres réseaux de relations sociales en dehors du mouvement.

Les magistrats norvégiens en déduisent qu’il « n’est donc pas question d’une quelconque “exclusion sociale complète et/ou de conséquences financières graves” en cas de retrait ».

En ce qui concerne plus spécifiquement les mineurs baptisés, la cour doit vérifier si la distanciation sociale des personnes renvoyées de l’assemblée « viole les droits des enfants », l’un des motifs de refus de subventions mentionné par l’article 6 de la Loi sur les communautés religieuses.

Elle souligne à juste titre qu’il faut prendre en compte la liberté de religion de l’enfant et le rôle des parents [4] :

« Ce qui est particulièrement important dans l’appréciation de la Cour d’appel, c’est qu’il est expressément indiqué dans les travaux préparatoires de l’article 6 […] que la disposition “violation des droits des enfants” doit être “mise en balance avec la liberté de religion et de conviction des enfants et des parents […]”. »

Alors qu’elle avait préalablement relevé dans son arrêt que la majorité des baptêmes de mineurs chez les Témoins de Jéhovah se font entre 15 et 18 ans, tandis que d’autres enfants de membres pratiquants décident de ne pas se convertir, la cour note que le législateur a fixé à 15 ans l’âge à partir duquel un jeune est suffisamment mature pour rejoindre ou quitter lui-même une communauté religieuse ou philosophique (article 2 de la Loi sur les communautés religieuses).

Après une analyse des conditions dans lesquelles un mineur baptisé ayant commis un péché grave devrait s’entretenir avec un comité d’anciens et les conséquences d’un éventuel renvoi de l’assemblée, s’il n’est pas repentant, la cour conclut que tout cela ne viole pas les droits des enfants, car « il n’a pas été prouvé que cette pratique expose probablement les enfants à la violence psychologique et/ou au contrôle social négatif ».

Par conséquent, la Cour d’appel de Borgarting invalide les différentes décisions administratives de la gouverneure du comté d’Oslo et Viken :

« Les conditions de refus d’octroi de subventions en vertu de l’article 6 de la loi sur les communautés religieuses, et donc de refus d’enregistrement en vertu de l’article 4, troisième alinéa, ne sont pas remplies. »

L’État est condamné à payer les frais de justice engagés par les Témoins de Jéhovah à hauteur de 8,5 millions de couronnes norvégiennes, soit un peu plus de 720 000 euros.