Droit de la presse

Une association peut-elle exercer un droit de réponse au nom d’un groupe ?

CA Paris, 12 septembre 2024

En juin 2023, plusieurs médias ont repris sur leur site internet des dépêches de l’AFP rendant compte du jugement d’une femme devant la Cour d’assises du Finistère, pour avoir étouffé son fils de 5 ans en 2020. Il y était mentionné notamment qu’elle serait « membre des Témoins de Jéhovah, se disant “très pratiquante” ».

Loin d’être anodine, cette précision associe la confession des Témoins de Jéhovah, déjà malmenée en France par une campagne contre les dérives sectaires depuis la pandémie de Covid-19 [1], à un crime horrible et choquant. Au point que 20 Minutes a même fait ce rapprochement en sous-titre de son article : « Membre des Témoins de Jéhovah, l’accusée encourt la réclusion criminelle à perpétuité [2] ».

Usant du droit de réponse prévu par l’article 6 IV de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, dans sa version à l’époque des faits [3], la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah de France (FCTJF) a donc envoyé le 15 juin 2023 un courrier aux directeurs de la publication des sites web concernés, leur demandant d’insérer ce rectificatif à la suite de l’article litigieux :

« Contrairement à ce qui a été publié dans notre édition du 7 juin 2023, la personne qui a été condamnée par la cour d’assises du Finistère pour le meurtre de son fils de 5 ans n’est pas Témoin de Jéhovah. »

Si plusieurs médias ont naturellement publié le droit de réponse [4], d’autres comme 20 Minutes, Le Parisien et Paris Match n’y ont pas fait droit.

Face à ces refus, la FCTJF a donc saisi le Tribunal judiciaire de Paris, aux fins d’obtenir une insertion forcée du droit de réponse. Par trois ordonnances du 16 novembre 2023, le juge des référés a rejeté en première instance les demandes de l’association.

Palais de justice de Paris
Palais de justice de Paris, où siège la Cour d’appel de Paris
(Guillaume Speurt – CC By-SA)

En appel, la plaidoirie des Témoins de Jéhovah a fait valoir que cette information erronée nécessite un correctif.

De plus, cette affirmation met en cause le mouvement religieux en tant que groupe structuré et la FCTJF est habilitée par ses statuts à « protéger et défendre les fidèles Témoins de Jéhovah contre des atteintes à leurs sentiments et leurs convictions religieuses ».

Il est aussi noté que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’une entité légale religieuse peut engager des poursuites judiciaires en son nom et pour le compte de ses adhérents, concernant des informations publiées dans les médias qu’elle considère être trompeuses, inexactes ou diffamatoires.

Cependant, la Cour d’appel de Paris confirme le raisonnement du premier juge, selon lequel la FCTJF en tant que personne morale « n’est ni nommée, ni désignée » dans les articles objets d’une demande de droit de réponse.

Or, l’article 6 IV de la Loi du 21 juin 2004 dans sa version applicable au litige disposait que :

« Toute personne nommée ou désignée dans un service de communication au public en ligne dispose d’un droit de réponse, sans préjudice des demandes de correction ou de suppression du message qu’elle peut adresser au service. […] »

Appliquant strictement la lettre de la loi, la cour d’appel explique :

« La seule indication de ce que l’accusée était membre des “Témoins de Jéhovah” ne renvoie nullement à l’appartenance de cette dernière à la Fédération, qui serait implicitement mise en cause. La seule personne nommée ou désignée par l’article est la personne qui comparaît aux assises, aucune personne morale n’est mise en cause. »

Les ordonnances rendues le 12 septembre 2024 par la Cour d’appel de Paris ont chacune rejeté la demande d’insertion forcée d’un droit de réponse de la FCTJF respectivement sur les sites de 20 Minutes, du Parisien et de Paris Match. L’association est condamnée aux dépens ainsi qu’au paiement de 2 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile dans chacune des affaires examinées.

Hélas, les dispositions permettant aux associations d’exercer un droit de réponse quand un groupe de personnes est visé, sous certaines conditions, n’existaient pas encore dans le domaine des services de communication numérique, comme cela est prévu depuis 1990 pour la presse écrite à l’article 13-1 de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse [5].

La Loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique a récemment remédié à cette lacune, grâce à un amendement proposant « d’aligner le régime du droit de réponse dans la presse numérique sur celui de la presse écrite [6] ».

Désormais, l’article 1-1 IV de la Loi du 21 juin 2004 accorde la possibilité de réagir au nom d’un groupe de personnes aux associations « régulièrement déclarée[s] depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de défendre la mémoire des esclaves et l’honneur de leurs descendants, de combattre le racisme ou d’assister les victimes de discrimination fondée sur leur origine nationale, ethnique, raciale ou religieuse [7] » :

« Les associations mentionnées aux articles 48-1 à 48-6 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse peuvent également exercer le droit de réponse prévu au III du présent article dans le cas où des imputations susceptibles de porter atteinte à l’honneur ou à la réputation d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur handicap, de leur orientation sexuelle ou identité de genre, vraie ou supposée, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une prétendue race, une ethnie, une nation ou une religion déterminée sont diffusées sur un service de communication au public en ligne. […] »

Cela ne devrait plus poser de difficultés à la Fédération Chrétienne des Témoins de Jéhovah de France, qui a déjà été admise à agir en justice contre des propos diffamatoires visant les Témoins de Jéhovah en général [8], de même que l’Association cultuelle « les Témoins de Jéhovah de France » (ACTJF) auparavant [9].