Résumé juridique

CEDH, Association de solidarité avec les témoins de Jéhovah et autres c. Turquie, 24 mai 2016, n° 36915/10 et 8606/13
Article 9 (Liberté de religion)

- Modifié le 21 avril 2023

Article 9 Article 9-1
Liberté de religion


Règles d’urbanisme empêchant une petite communauté religieuse d’avoir un lieu de culte : violation
En fait En 2003 la loi turque sur l’urbanisme, qui ne visait auparavant que la construction de mosquées, fut modifiée de sorte qu’il devenait possible de construire, avec l’aval des autorités, des édifices pour d’autres religions. Des emplacements à cet usage devaient normalement être prévus lors de l’établissement des plans d’urbanisme. Toutefois, les lieux de culte restaient soumis à une exigence de superficie minimale d’au moins 2 500 m2.

Après la réforme de 2003, deux communautés locales de témoins de Jéhovah liées aux requérants se virent refuser l’autorisation d’utiliser comme lieu de culte, respectivement, un appartement au sein d’un immeuble d’habitation et le rez-de-chaussée d’un bâtiment, aux motifs qu’un lieu affecté à l’habitation ne pouvait plus être utilisé à d’autres fins et qu’un lieu de culte devait respecter les dimensions minimales fixées par la réglementation pertinente. Les municipalités leur répondirent par ailleurs que les plans locaux d’urbanisme ne comportaient aucun autre endroit disponible pour servir de lieu de culte ni aucun terrain susceptible d’être employé à la construction d’un tel lieu.
En droit Article 9 : Les présentes requêtes portent sur l’impossibilité pour les requérants de se livrer à leur pratique religieuse dans des locaux appropriés. Or, si une communauté religieuse ne peut disposer d’un lieu pour y pratiquer son culte, sa liberté religieuse se trouve vidée de toute substance. Ainsi, les décisions visées s’analysent en une ingérence dans le droit garanti par l’article 9.

Étant donné la complexité de la matière, les États contractants jouissent normalement d’une grande marge d’appréciation pour mener leur politique urbanistique. Toutefois, même si on ne saurait tirer de la Convention le droit d’une communauté religieuse à obtenir des autorités publiques un lieu de culte, la nécessité de maintenir un véritable pluralisme religieux, inhérent à la notion de société démocratique, réclame de la part de la Cour un examen scrupuleux.

Les nombreux cas rapportés à la Cour par les requérants et le tiers intervenant permettent de constater que les autorités administratives tendent à se servir des potentialités des lois susmentionnées pour imposer des conditions rigides, voire prohibitives, à l’exercice de certains cultes minoritaires, dont celui des témoins de Jéhovah. Compte tenu du nombre limité de leurs adeptes, les témoins de Jéhovah avaient en effet besoin non pas d’un bâtiment avec une architecture spécifique, mais d’une simple salle de réunion leur permettant de célébrer leur culte, de réunir leur communauté et d’enseigner leur croyance. Or, il ressort des critères posés par la législation litigieuse que celle-ci est muette au sujet des besoins des petites communautés de croyants ; et ces besoins n’ont pas non plus été pris en compte par les juridictions qui ont rejeté les demandes des requérants.

La Cour rejette l’argument du Gouvernement selon lequel les requérants ont obtenu à maintes reprises l’autorisation de se rassembler sur le fondement de la loi no 2911 relative aux réunions et manifestations. En effet, cette possibilité dépend de la bonne volonté des administrations centrales ou locales, puisque les requérants restent tenus d’obtenir l’autorisation de l’administration chaque fois qu’ils célèbrent leur culte.

En conclusion, les refus litigieux affectent si directement la liberté religieuse des requérants qu’ils ne peuvent passer pour proportionnés au but légitime de la protection de l’ordre public.

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : 1 000 EUR à l’association requérante et 1 000 EUR conjointement aux autres requérants pour préjudice moral ; demande pour dommage matériel rejetée.