Droits de l’homme

CEDH : nouvelles requêtes de Témoins de Jéhovah communiquées à la Russie
Cour européenne des droits de l’homme, 4 septembre 2017

- Modifié le 3 mai 2023

Tandis que la requête Organisation religieuse locale de Taganrog et autres c. Russie, introduite le 1er juin 2010 et communiquée au gouvernement russe le 6 mars 2014 [1], est toujours pendante devant la juridiction du Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a accepté d’examiner de nouvelles affaires liées au culte pratiqué par les Témoins de Jéhovah au cours des années 2014 à 2016, puis les a communiquées à la Fédération de Russie avec demande d’observations le 4 septembre 2017. La requête introduite en juin 2017 par le citoyen danois Dennis Christensen, en détention provisoire en Russie depuis le 26 mai 2017 pour avoir participé à un office religieux, a également été communiquée le même jour au gouvernement russe.

Dans les requêtes suivantes, les requérants invoquent la violation de leur droit au libre exercice de leur religion et dénoncent le traitement discriminatoire à l’encontre des Témoins de Jéhovah en raison de leur foi, suivant l’article 9 (liberté de religion) de la Convention européenne des droits de l’homme, pris isolément ou combiné avec les articles 10 (liberté d’expression), 11 (liberté de réunion et d’association) et 14 (interdiction de discrimination).

 Requête Christensen c. Russie (n° 39417/17), introduite le 2 juin 2017 :

Le requérant Dennis Ole Christensen est un ressortissant danois, marié avec une citoyenne russe et vivant à Oriol en Russie. Tandis que l’association cultuelle des Témoins de Jéhovah de la ville d’Oriol avait été dissoute par les autorités russes en juin 2016, l’assemblée de fidèles locale a continué de se réunir paisiblement dans son lieu de culte chaque semaine.

Le 25 mai 2017, des agents armés de la police et du Service fédéral de sécurité (FSB) ont débarqué dans la salle de réunion et interrompu l’office religieux. Ministre du culte de cette assemblée de fidèles, Dennis Christensen a été arrêté puis placé en garde à vue dans les locaux du FSB. Le lendemain, le tribunal de district de Sovietsky d’Oriol a accédé à la demande du procureur de le mettre en détention provisoire pendant deux mois, le temps que les agents du FSB réunissent des preuves de ses prétendues « activités extrémistes ». Il risque de six à dix ans d’emprisonnement sous l’inculpation d’avoir poursuivi les activités d’une communauté religieuse dissoute par décision de justice pour « extrémisme », suivant l’article 282-2 alinéa 1 du Code pénal. Le 21 juin 2017, le tribunal régional d’Oriol a rejeté son appel par une décision rédigée de manière sommaire, sans aborder les moyens présentés pour sa défense [2].

Aux dernières nouvelles, sa détention provisoire a encore été prolongée jusqu’au 23 février 2018 par décision du tribunal de district de Sovietsky d’Oriol datée du 20 novembre 2017 [3]. Manifestement, six mois n’ont pas suffit au Service fédéral de sécurité pour trouver des éléments probants pour établir sa participation à des « activités extrémistes », qui paraissaient pourtant assez évidentes pour justifier son emprisonnement...

Outre la violation de l’article 9 (liberté de religion) de la Convention européenne des droits de l’homme, pris isolément ou combiné avec l’article 14 (interdiction de discrimination), estimant que son arrestation et son éventuelle condamnation pénale constituent non seulement une interférence illégale, injustifiée et disproportionnée dans son droit de manifester sa religion collectivement, mais encore une discrimination fondée sur ses convictions religieuses, le requérant invoque l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention dans la mesure où les juridictions internes n’ont pas fourni de raisons pertinentes et suffisantes pour justifier sa détention (prolongée à plusieurs reprises).

 Requête Organisation religieuse locale de Samara et autres c. Russie (n° 15962/15), introduite le 31 mars 2015 :

Le 29 janvier 2013, la police a inspecté les locaux loués par l’association cultuelle de la région de Samara pour les offices chrétiens des Témoins de Jéhovah de Novokuybyshevsk et y a trouvé dix exemplaires des brochures Les Témoins de Jéhovah : Qui sont-ils ? Quelles sont leurs croyances ? et Vous pouvez être l’ami de Dieu !, qui avaient été déclarées « extrémistes » auparavant par le tribunal régional de Rostov en 2009. L’un des ministres du culte de cette assemblée de fidèles a été condamné à payer 3 000 roubles pour « stockage illégal de matériel extrémiste en vue de diffusion massive » suivant l’article 20.29 de Code des infractions administratives.

Après avoir adressé des avertissements officiels à la communauté locale de Novokuybyshevsk (groupe religieux non enregistré) et à l’Organisation religieuse locale de Samara rappelant que toute forme d’activités extrémistes était interdite sous peine de liquidation, une nouvelle perquisition des locaux a été organisée le 22 janvier 2014. Après s’être présentés quatre heures plus tôt comme des électriciens effectuant une « inspection d’électricité » pour s’introduire notamment dans le vestiaire, les officiers de la police régionale de Samara sont revenus sans déguisement pour effectuer une perquisition officielle en allant directement au vestiaire et y « découvrir » quelques livres figurant sur la Liste fédérale des documents extrémistes, à la suite de la décision du 11 septembre 2009 du tribunal régional de Rostov. Le 7 mars 2014, l’Organisation religieuse locale de Samara est condamnée par le tribunal du district de Sovetskiy pour « stockage illégal de matériel extrémiste », avec confirmation en appel par le tribunal régional de Samara le 17 avril 2014.

À la demande du Procureur régional, le tribunal régional de Samara a déclaré l’Organisation religieuse locale de Samara comme « organisation extrémiste » par décision du 29 mai 2014 et a prononcé par conséquent sa dissolution ainsi que la confiscation de ses biens [4]. Le 12 novembre 2014, la Cour suprême de la Fédération de Russie a rejeté l’appel de l’association cultuelle régionale [5].

 Requête Trotsyuk et autres c. Russie (n° 24622/16), introduite le 28 avril 2016 :

Après que l’Organisation religieuse locale des Témoins de Jéhovah de Taganrog ait été dissoute et ses activités interdites par le tribunal régional de Rostov le 11 septembre 2009, des procédures pénales ont été engagées contre les seize requérants témoins de Jéhovah pour avoir poursuivi des activités présumées illégales. Bien que les requérants aient rappelé que le jugement ne visait pas les personnes morales ou physiques autres que l’association cultuelle de Taganrog et qu’il n’affectait pas leur droit d’exercer leur religion en tant que groupe religieux non enregistré, le tribunal de la ville de Taganrog a condamné le 30 novembre 2015 chacun des quatre ministres du culte à une peine d’environ cinq ans de prison avec sursis et à une amende de 100 000 roubles pour avoir organisé la poursuite d’activités interdites, tandis que les douze autres fidèles ont été condamnés à payer entre 20 000 et 70 000 roubles pour appartenance à une « organisation religieuses extrémiste » [6]. Si l’amende de ces derniers a été réduite en appel, la condamnation des seize requérants a été maintenue par la Cour suprême de la Fédération de Russie le 24 avril 2017.

Cette affaire a d’ailleurs suscité des réactions d’inquiétude au niveau international. Le 23 novembre 2015, le journal américain The Washington Post a titré son article sur ces seize Témoins de Jéhovah condamnés en estimant qu’ils pourraient être « les plus pacifiques des “extrémistes” de Russie [7] ». Quant à son confrère britannique The Independent, il a déclaré le 2 décembre 2015 que « Les Témoins de Jéhovah sont les nouveaux parias de la Russie », ajoutant qu’ils « sont ciblés en vertu des lois anti-terroristes tout simplement pour avoir pratiqué leur foi pacifiste » dans une Russie « de plus en plus intolérante [8] ».

De son côté, Amnesty International a lancé une action urgente le 9 décembre 2015 pour adresser aux autorités russes des appels les priant instamment « de respecter, protéger et promouvoir les droits aux libertés d’expression et de conviction en Russie », leur demander « de veiller à ce que les condamnations des témoins de Jéhovah de Taganrog soient annulées » et les exhorter « à s’abstenir d’inculper des témoins de Jéhovah et d’interdire leurs communautés en les qualifiant d’“extrémistes” alors qu’elles ne font que pratiquer pacifiquement leur culte [9] ».

 Requête Kravchuk et autres c. Russie (n° 2861/15), introduite le 14 janvier 2015 :

Le 7 août 2013, le tribunal du district central de la ville de Tver a jugé « extrémiste » le site web officiel des Témoins de Jéhovah, parce qu’il contenait les publications Qu’enseigne réellement la Bible ?, Approchez-vous de Jéhovah et “Viens, suis-moi” qui avaient été déclarées « extrémistes » toujours par le même tribunal régional de Rostov en 2009, ainsi que les revues La Tour de Garde et Réveillez-vous ! dont l’autorisation de diffusion avait été révoquée en 2010. La Watchtower Bible and Tract Society of New York, propriétaire du site JW.org, et le Centre administratif des Témoins de Jéhovah en Russie, représentant les intérêts des associations cultuelles locales et régionales, n’ont même pas été informés de la procédure en cours et ils n’ont appris la décision du tribunal de censurer le site web que par la presse le 12 septembre 2013.

Le 22 janvier 2014, le tribunal régional de Tver a réformé la décision de première instance, d’une part en permettant à l’éditeur du site de participer à la procédure, et d’autre part en considérant que l’intégralité du site ne pouvait être déclarée « extrémiste » en raison de la publication de certains ouvrages figurant sur la Liste fédérale des documents extrémistes, en notant au passage que les publications litigieuses n’étaient plus accessibles sur le site à partir du territoire russe [10]. Le Procureur général adjoint de Russie a déposé un recours contre cette décision d’appel devant la Cour suprême de la Fédération de Russie, qui a finalement annulé la décision d’appel et rétabli le jugement du 7 août 2013 par un arrêt rendu le 2 décembre 2014, encore une fois en l’absence de l’éditeur du site [11].

Tandis que le ministère de la Justice russe a officiellement ajouté le site JW.org à Liste fédérale des documents extrémistes le 21 juillet 2015 [12], un juriste à l’Institut des droits de l’homme à Moscou a condamné cette interdiction du site officiel des Témoins de Jéhovah : « La Russie du XXIe siècle a adopté une constitution qui garantit la liberté de religion et l’égalité des associations religieuses devant la loi. Mais comme au XIXe siècle, cette même Russie viole encore la liberté d’expression religieuse en confisquant des ouvrages et en interdisant des sites Internet. À l’origine de cette violation : des juges et des juristes qui appliquent des réglementations illégales sous couvert de lutte contre l’extrémisme [13]. »

 Requêtes Novikov et autres c. Russie (n° 28108/14) et Aliyev et Organisation religieuse locale de Birobidzhan c. Russie (n° 16578/15), introduites respectivement le 4 avril 2014 et le 7 avril 2015 :

Les requérants se plaignent de l’interdiction de publications religieuses supplémentaires, qui s’ajoutent à celles déjà mentionnées dans les affaires communiquées le 6 mars 2014 par la CEDH : le livre ‘Rends pleinement témoignage au sujet du Royaume de Dieu’ pour les premiers et les brochures De bonnes nouvelles de la part de Dieu ! et Ce que vous devez savoir sur Dieu et son dessein pour les seconds.

 Requête Ogorodnikov et autres c. Russie (n° 29295/14), introduite le 11 avril 2014 :

Le 7 novembre 2012, une perquisition des locaux servant de lieu de culte pour l’association cultuelle des Témoins de Jéhovah de la ville de Kostomuksha en République de Carélie, qui appartiennent à M. Ogorodnikov, a été ordonnée par la direction régionale du Service fédéral de sécurité (FSB) dans le but de saisir les publications religieuses et les examiner pour y trouver d’éventuels signes d’extrémisme. Le lendemain, le vice-président de la Cour suprême de la République de Carélie a autorisé l’inspection des appartements privés de deux membres du conseil d’administration de l’association cultuelle, soupçonnés d’y conserver des publications religieuses « extrémistes ». Lorsque les officiers du FSB accompagnés de la police ont fouillé les deux appartements, ils y ont saisi tous les ouvrages religieux et autres effets personnels (ordinateurs, enregistrements vidéos, carnets de notes...). Ils ont ensuite forcé les deux autres requérants à leur donner accès à la « Salle du Royaume » où ils se réunissent habituellement pour y saisir quelques 500 exemplaires de littérature religieuse, dont des Bibles. Si tout ce qui a été saisi dans l’édifice cultuel a été rendu aux requérants, en revanche les deux ministres du culte n’ont pas récupéré les objets saisis dans leurs logements respectifs.

Les requérants ont alors demandé à la Cour suprême régionale de reconnaître illégales les actions entreprises par le Service fédéral de sécurité, mais leur recours a été rejeté le 21 janvier 2013. Une autre plainte a été déposée en vain auprès du tribunal de la ville de Kostomuksha, qui les a déboutés le 3 septembre 2013. La Cour suprême régionale a fait de même le 17 octobre 2013.

 Requête Mashinskiy et autres c. Russie (n° 35190/14), introduite le 22 avril 2014 :

Dans la soirée du 26 mars 2013, les six requérants étaient réunis avec leurs coreligionnaires dans une salle louée à une institution municipale de la région de Primorskiy pour célébrer le « Mémorial de la mort de Jésus-Christ », l’événement religieux le plus important de l’année pour les Témoins de Jéhovah conformément à la Cène chrétienne rapportée dans l’Évangile. Le service religieux a été interrompu et l’assistance évacuée par le procureur adjoint du district de Pogranicnhniy, accompagné d’officiers de police, sous prétexte que la réunion était organisée en dehors d’un lieu de culte sans déclaration préalable et donc illégale.

Les requérants ont déposé une plainte devant le tribunal du district d’Ussuriyskiy, mais ils ont été déboutés le 18 juin 2013. Le 24 octobre 2013, le tribunal régional de Primorskiy a confirmé la décision de rejet prononcée en première instance.