Droits de l’homme

CEDH : absence de poursuites contre des actes antireligieux en Géorgie
Cour européenne des droits de l’homme, 17 janvier 2017

- Modifié le 3 mai 2023

Presque dix ans après avoir traité l’affaire Membres de la Congrégation des témoins de Jéhovah de Gldani et autres contre Géorgie, la Cour européenne des droits de l’homme a de nouveau traité des faits de harcèlement et d’actions violentes contre des Témoins de Jéhovah en Géorgie, ainsi que de l’inaction des autorités publiques pour condamner de telles agressions. La persécution des minorités religieuses par des activistes orthodoxes en Géorgie est connue et ne paraît pas en voie de régression. En effet, Amnesty International signale dans son magazine La Chronique de février 2017 qu’il y a eu « pas moins de 25 agressions contre les témoins de Jéhovah entre janvier et août 2014, dont une mortelle » et rappelle que, déjà au cours des années 1990, ils avaient été « victimes de tabassages ».

Dans une requête déposée le 26 mai 2004 devant la Cour européenne, treize requérants géorgiens se sont plaints d’avoir été victimes d’actes d’intimidation et d’agression motivés par leur appartenance religieuse et commis non seulement par des extrémistes orthodoxes, mais parfois aussi par des agents de police. En outre, les procédures engagés pour obtenir une indemnisation ont été systématiquement rejetées par les juridictions internes.

Cinq occasions distinctes dans les années 2000 et 2001 ont été traitées par les juges européens. Pour les cas n° 1 et 4, les griefs de six requérants ont été jugés irrecevables, puisqu’ils se rapportaient à des faits, pour les mêmes personnes, déjà examinés dans l’arrêt Begheluri et autres contre Géorgie rendu le 7 octobre 2014 par la quatrième section de la CEDH, qui avait conclu à la violation des articles 3 et 9 pris isolément et combinés avec l’article 14 de la Convention.

Les griefs concernant les trois autres cas ont été jugés recevables par la Cour européenne, qui n’a pas retenu l’argument de non-épuisement des voies de recours développé par l’État défendeur. En effet, tandis que l’État évoquait l’absence de poursuites au niveau pénal, la Cour a estimé qu’il n’est pas requis d’engager tous les recours possibles et que les recours civils et administratifs menés jusqu’au bout par les requérants suffisent à remplir la condition d’épuisement des voies de recours.

 Cas n° 2 : Lors de l’incident du 26 octobre 2000, une réunion cultuelle d’une trentaine de Témoin de Jéhovah tenue dans un foyer privé a été perturbée par l’intervention d’officiers de police, officiellement afin d’éviter une confrontation avec une horde d’opposants qui allait arriver, et des ouvrages religieux ont été confisqués. L’hôte et le ministre du culte ont été conduits au poste de police, où ils ont été forcés à signer un engagement écrit de ne plus organiser de rassemblement religieux à l’avenir. La cour retient que le gouvernement n’a pas justifié une telle interférence dans une réunion pacifique dans un lieu privé, ne contrariant manifestement aucune loi. Quant aux juridictions internes, elles auraient pu contrôler si les actions policières n’avaient pas une éventuelle motivation discriminatoire dans un contexte d’hostilité à l’encontre de ce culte et demander pourquoi les autorités locales ont dispersé le rassemblement au lieu de prendre des mesures appropriées pour protéger les droits des requérants en s’assurant que la réunion puisse se poursuivre dans de bonnes conditions.

 Cas n° 3 : Dans une autre situation où les officiers de police auraient eu un comportement violent et insultant à l’égard de plusieurs Témoins de Jéhovah, l’examen des plaintes par les juges géorgiens ont examiné s’est montré « superficiel et biaisé », selon la CEDH. D’une part, leur décision ne s’appuie que sur les affirmations des policiers intimés, rejetant les dépositions d’autres témoins au motif qu’ils étaient Témoins de Jéhovah, et la remarque introductive selon laquelle il serait bien connu que beaucoup de Témoins de Jéhovah violeraient de manière flagrante la Constitution ainsi que les droits d’autrui est révélatrice de l’orientation de leur décision. D’autre part, il y avait des éléments cohérents et détaillés pour soutenir les affirmations de violence religieuse, qui n’ont pas été pris suffisamment en considération bien qu’ils n’aient pas été réfutés adéquatement par le gouvernement. La Cour conclut alors que les deux requérants concernés ont bien été victimes de violences policières en raison de leurs croyances religieuses.

 Cas n° 5 : Si les parties conviennent que la réunion cultuelle du 27 mars 2001 a été interrompue par des particuliers, la question se pose si la police a permis que cela se déroule ainsi. La Cour européenne ne peut comprendre comment les juridictions internes ont pu prendre pour argent comptant la version des faits exposée par les officiers de police sans pouvoir auditionner un seul d’entre eux. Elles n’ont même pas examiné les affirmations des requérants sur la présence de l’un des policiers durant cet événement, qui s’appuyaient sur un enregistrement vidéo qui n’a pas été mentionné dans le raisonnement des juges géorgiens. De plus, ces derniers ont carrément ignoré l’issue de ce violent incident, c’est-à-dire la destruction en plein jour de leurs publications religieuses par un autodafé organisé sur un marché public, ce qui constituait pourtant une flagrante violation de leurs droits aux yeux de la CEDH. La Cour en conclut qu’un tel examen superficiel et unilatéral dénote une connivence judiciaire avec les agressions perpétrées contre les requérants, d’autant plus manifeste si on la replace dans le contexte général de défaillance systématique des autorités publiques à intervenir contre les attaques violentes visant ce culte minoritaire. Quant à l’incident en lui-même, la Cour considère que le gouvernement n’a pas apporté d’argument crédible ni de preuve permettant de réfuter les accusations d’interruption du service religieux et de destruction de leurs ouvrages religieux.

Par conséquent, la Cour européenne a jugé à l’unanimité qu’il y a eu violation de l’article 9 pris isolément et combinés avec l’article 14 de la Convention dans ces trois cas pour les sept requérants correspondants. L’État géorgien est condamné à payer aux sept requérants 1 500 € pour préjudice moral, plus 500 € de préjudice matériel pour trois d’entre eux, ainsi que 10 000 € pour frais et dépens.