TA Paris, 28 mai 2025, n° 2218175

Miviludes - Documents administratifs - Communication

Tribunal Administratif de Paris

Lecture du mercredi 28 mai 2025

N° 2218175

5e Section - 2e Chambre

Inédit au recueil Lebon

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 29 août 2022, 24 février 2023, 15 mars 2024 et 26 avril 2024, l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience, représentée par Me Ragot, demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision implicite de la cheffe de service de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) rejetant sa demande de communication en date du 4 avril 2022 après la saisine de la CADA, ensemble la décision explicite du 3 octobre 2022 ;

2°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur de lui communier les documents demandés dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard :

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros au titre des frais de justice.

Elle soutient que :

 si le ministre lui a communiqué les formulaires cerfa n°12156*06, les arrêtés ou convention d’attribution d’une subvention et les avenants ainsi que les courriels échangés entre la MIVILUDES et les porteurs de projet, les documents relatifs à la prise de décision des attributions de subvention matérialisés par un tableau unique de suivi des projets et l’intégralité des correspondances entre les services de la MIVILUDES et les porteurs de projets ne lui ont pas été transmis ;

 aucun motif juridique ne s’opposait à la transmission de ces documents ; le tableau de suivi peut être communiqué tout en occultant les mentions qui contiendraient des secrets protégés par la loi et le ministre ne justifie pas en quoi la communication de ce tableau serait de nature à affecter les intérêts d’une partie à une procédure juridictionnelle ; les courriels devront également lui être communiqués dans la mesure où sa demande n’est pas abusive et ne fait pas peser sur l’administration une charge déraisonnable.

Par trois mémoires en défense enregistrés les 2 février 2023, 29 février 2024 et 5 avril 2024, le ministre de l’intérieur et des outre-mer conclut à titre principal au non-lieu à statuer et à titre subsidiaire au rejet de la requête.

Il soutient que :

 à titre principal, les conclusions de la requête sont devenues sans objet dès lors que les documents demandés ont été transmis à l’association requérante ;

 à titre subsidiaire : s’agissant du tableau unique de suivi des projets, la divulgation de toute information permettant d’identifier les associations et leurs membres serait de nature à porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes ; s’agissant des échanges entre les services de la MIVILUDES et les porteurs des projets, le traitement de cette demande aurait pour effet de faire peser sur la MIVILUDES une charge de travail disproportionnée au regard de ses moyens.

Par une ordonnance du 29 avril 2024, la clôture d’instruction a été fixée au 29 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

 le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 le rapport de M. Rebellato, rapporteur,

 les conclusions de Mme Nikolic, rapporteure publique,

 et les observations de Me Lehmann représentant l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un courrier du 4 avril 2022, l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience a demandé à la cheffe de service de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES), la communication des dossiers de demande de soutien financier reçus par la MIVILUDES, de la part des associations demanderesses dans le cadre de son appel à projets lancé le 20 mai 2021, les courriers de notification des résultats, tout document relatif à la prise de décision des attributions de subvention dans le cadre de l’appel à projet incluant les documents qui mentionneraient l’application des critères à chaque projet, retenu ou non retenu, tout document administratif mentionnant les subventions attribuées aux associations demanderesses dont le projet a été retenu et enfin les échanges par courrier, ou par courriel, entre les services de la MIVILUDES et les associations demanderesses, dans le cadre de cet appel à projets. A la suite du silence gardé par la MIVILUDES, l’association requérante a saisi la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui a émis, le 23 juin 2022 un avis favorable sous réserve d’occulter les éventuelles mentions couvertes par l’un des secrets protégés par les articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

2. Par un courrier du 3 octobre 2022, soit postérieurement à l’enregistrement de la requête, le président de la MIVILUDES a communiqué, pour chacun des porteurs de projets retenus dans la cadre de l’appel à projet 2021, après occultation des mentions couvertes par les secrets protégés par les articles précités, les formulaires cerfa n° 12156*06, les arrêtés ou conventions d’attribution d’une subvention et les avenants ainsi que les courriels échangés entre la MIVILUDES et les porteurs de projets. Eu égard à la teneur de ses écritures, l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience doit être regardée comme demandant au tribunal d’annuler la décision implicite en tant qu’elle refuse de lui communiquer le tableau unique de suivi des projets et les 440 courriels échangés entre la MIVILUDES et les porteurs de projets.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

3. Aux termes de l’article L. 300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources et décisions. » Aux termes de l’article L. 311-1 du même code : « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. » Aux termes de l’article L. 311-2 de ce code : « () L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. » Aux termes de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration : « Ne sont pas communicables : / 2° Les autres documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte : / () / d) A la sûreté de l’Etat, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la sécurité des systèmes d’information des administrations ; / () f) Au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou d’opérations préliminaires à de telles procédures, sauf autorisation donnée par l’autorité compétente ; () » Aux termes de l’article L. 311-6 du même code : « Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; / 2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ; / 3° Faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. » Enfin, aux termes de l’article L. 311-7 de ce code : « Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application des articles L. 311-5 et L. 311-6 mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. »

4. En l’espèce, il est constant, comme le mentionne le ministre de l’intérieur dans son mémoire en défense du 29 février 2024, que le tableau unique de suivi des projets ayant pour objet de retracer le processus administratif d’évaluation et de sélection des projets et les courriels échangés entre la MIVILUDES et les porteurs de projets faisaient partie des documents demandés par l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience le 4 avril 2022.

En ce qui concerne le refus de communiquer le tableau unique de suivi des projets :

5. Il ressort des pièces du dossier que le ministre de l’intérieur a refusé de faire droit à la demande de communication du tableau unique de suivi des projets en se fondant sur deux motifs. Le premier tiré de ce que la divulgation de toute information permettant d’identifier les associations et leurs membres serait de nature à porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité de ces personnes conformément au d) du 2° de l’article L. 311-5 du code des relations entre le public et l’administration. Le second tiré de ce que la communication de ce document porterait atteinte au déroulement d’une procédure juridictionnelle conformément au f) du 2° de l’article L.311-5 du même code.

6. D’une part, il n’est pas contesté comme le soutient le ministre, que les associations de prévention et de lutte contre les dérives sectaires sont régulièrement visées par des actes d’intimidation ou de menaces de la part d’individus ou d’associations contestant l’engagement institutionnel associatif pour lutter contre ces dérives. Il résulte de l’instruction qu’eu égard à l’objet de l’appel à projets du 20 mai 2021 qui est de lutter contre les dérives sectaires, la divulgation de l’identité tant des associations de prévention et de lutte contre ces dérives et de leurs membres qui ont répondu à cet appel à projets serait de nature à porter atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité de ces personnes. Néanmoins, il ne résulte pas de l’instruction et il n’est pas allégué qu’une communication partielle de ce document ne serait pas envisageable après les occultations préalables nécessaires pour assurer l’impossibilité d’identification directe ou indirecte des associations et de leurs membres. Le ministre n’allègue pas non plus que l’occultation des éléments sensibles liés à la sécurité des associations et de leurs membres priverait de tout intérêt la communication de ce document ou ferait peser sur la MIVILUDES une charge de travail déraisonnable.

7. D’autre part, le ministre de l’intérieur fait valoir qu’en raison d’une enquête pénale, à la suite d’un dépôt de plainte déposé notamment par l’association requérante à l’encontre de l’ancienne cheffe de la MIVILUDES et de l’ancienne présidente de l’union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes, la communication de ce tableau risquerait d’empiéter sur les compétences et prérogatives d’une autorité judiciaire. Toutefois, la seule circonstance que ce tableau soit susceptible d’être utilisé dans une procédure juridictionnelle engagée par l’association requérante ne saurait par elle-même fonder légalement un refus de communication. Le ministre ne justifie pas en quoi la communication de ce tableau risquerait de porter atteinte au déroulement de la procédure engagée devant le juge pénal. Par suite, l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience est fondée à demander l’annulation de la décision par laquelle la MIVILUDES a refusé de faire droit à sa demande de communication du tableau unique de suivi des projets.

En ce qui concerne le refus de communiquer les courriels échangés entre la MIVILUDES et les porteurs de projets :

8. Il ressort des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration que revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Si la personne qui demande la communication de documents administratifs n’a pas à justifier de son intérêt à ce que ceux-ci lui soient communiqués, lorsque l’administration fait valoir que la communication des documents sollicités, en raison notamment des opérations matérielles qu’elle impliquerait, ferait peser sur elle une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose, il revient au juge de prendre en compte, pour déterminer si cette charge est effectivement excessive, l’intérêt qui s’attache à cette communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public.

9. Pour soutenir que la demande de l’association requérante ferait peser sur la MIVILUDES une charge de travail disproportionnée au regard de ses moyens, le ministre de l’intérieur invoque d’abord des difficultés liées à la recherche de ces courriels. Il indique à cet égard que la demande porte sur au moins 440 courriels qui sont sauvegardés dans un unique ficher contenant l’ensemble des courriels de l’année 2021 et que ce fichier n’est pas classé. Outre les difficultés liées à l’identification des courriels concernés, de par la nature même et leur contenu, ces courriels contiennent des éléments susceptibles de porter atteinte à la sécurité et à la vie privée des personnes mentionnés, ou de leur porter préjudice. Il en résulte des difficultés liées à l’occultation de l’identité des fonctionnaires de la MIVILUDES et de leurs interlocuteurs qui devra se faire sur chaque courriel manuellement. Par ailleurs, la MIVILUDES ne dispose que de sept agents pour traiter des milliers de saisines. Si l’association requérante fait valoir que l’anonymisation des documents pourrait être réalisée à l’aide d’un logiciel, lequel permettrait de supprimer l’ensemble des champs susceptibles de contenir normalement des données à caractère personnel, les dispositions du code des relations entre le public et l’administration ne font pas obligation aux services du ministère d’y recourir, non plus qu’elles ne lui imposent de développer un outil informatique pour satisfaire la demande dont il est saisi, alors même qu’il disposerait des ressources financières et humaines permettant de réaliser ce développement. Pour les mêmes motifs, l’association requérante ne peut utilement soutenir que la MIVILUDES pourrait recourir à des agents du ministère de l’intérieur pour traiter sa demande. Dans ces conditions, et sans qu’il soit besoin d’ordonner une mesure d’instruction afin que le tribunal se voit communiquer ces courriels, eu égard, d’une part, à la charge de travail qu’impliquerait le traitement de cette demande, et, d’autre part, aux moyens réduits dont dispose la MIVILUDES et à l’intérêt limité que présenterait la communication de ces courriels compte tenu notamment des autres documents communiqués, le ministre de l’intérieur a pu légalement refuser de procéder à cette communication. Par suite, sa décision ne saurait être entachée d’illégalité sur ce point.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

10. Compte tenu des motifs du présent jugement, il y lieu d’enjoindre au ministre de l’intérieur de communiquer à l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience le tableau unique de suivi des projets, après occultation des mentions portant atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes. Il n’y a pas lieu en revanche d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La décision implicite du ministre de l’intérieur en tant qu’elle refuse de communiquer à l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience le tableau unique de suivi des projets est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’intérieur de communiquer à l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience le tableau unique de suivi des projets, après occultation des mentions portant atteinte à la sécurité publique ou à la sécurité des personnes.

Article 3 : L’Etat versera à l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’association coordination des associations et des particuliers pour la liberté de conscience, à la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires et au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur.

Délibéré après l’audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :

M. Gros, président,

M. Feghouli, premier conseiller,

M. Rebellato, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe le 28 mai 2025.

Le rapporteur,

Signé

J. REBELLATO

Le président,

Signé

L. GROS

La greffière,

Signé

C. CHAKELIAN

La République mande et ordonne au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.