OSCE

L’UE s’inquiète de la persécution des Témoins de Jéhovah en Russie
Union européenne, 30 mars 2017

- Modifié le 3 mai 2023

Le 30 mars 2017, l’Union européenne s’est dite « préoccupée par les dernières évolutions concernant les Témoins de Jéhovah en Russie ». Dans une « Déclaration de l’UE sur l’interdiction des Témoins de Jéhovah en Russie » au Conseil permanent de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), elle a estimé que « La décision du Ministère de la justice de suspendre les activités des Témoins de Jéhovah et la requête déposée par le Ministère auprès de la Cour suprême pour déclarer “extrémiste” leur Centre administratif, interdire ses activités et le dissoudre, marque une nouvelle étape dans le harcèlement et la persécution juridique dont font l’objet les Témoins de Jéhovah en Russie. »

En conséquence, l’Union européenne « appelle la Russie à respecter ses engagements internationaux en matière de liberté de religion ou de conviction, de liberté d’expression et de liberté de réunion », en rappelant que « les États participants à l’OSCE ont affirmé à plusieurs reprises l’importance de la liberté de religion ou de conviction comme pilier du concept de sécurité inclusive ».

D’autres instances internationales ont également condamné les actions entreprises par les autorités russes pour dissoudre les entités légales des Témoins de Jéhovah et interdire leurs activités cultuelles. Le 28 mars 2017, la Commission sur la sécurité et la coopération en Europe (dite Commission « Helsinki » des États-Unis) a exhorté « le gouvernement russe à abandonner l’affaire immédiatement », en rappelant les engagements découlant de l’Acte final d’Helsinki signé par les 57 États composant l’OSCE, dont fait partie la Fédération de Russie, entre autres celui qui prévoit que « les États participants reconnaissent et respectent la liberté de l’individu de professer et pratiquer, seul ou en commun, une religion ou une conviction en agissant selon les impératifs de sa propre conscience [1] ». De même, la Commission sur la liberté religieuse internationale des États-Unis (USCIRF) a fermement condamné la procédure intentée par le ministère de la Justice contre les Témoins de Jéhovah pour éliminer toute existence juridique de ce culte en Russie. Dans son communiqué de presse du 4 avril 2017, la Commission « appelle le gouvernement et le pouvoir judiciaire russes à respecter la liberté de religion ou de conviction et à mettre fin au harcèlement envers les Témoins de Jéhovah et d’autres mouvements religieux [2] ».

Le 4 avril 2017, le bureau du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a signalé que trois experts des droits de l’homme des Nations Unies ont condamné l’actuelle tentative du gouvernement russe d’interdire les activités des Témoins de Jéhovah sur la base d’une loi anti-extrémisme, décision qu’ils trouvent « extrêmement inquiétante [3] ». David Kaye, Rapporteur spécial sur la liberté d’opinion et d’expression, Maina Kiai, Rapporteur spécial sur les libertés de réunion pacifique et d’association, et Ahmed Shaheed, Rapporteur spécial sur la liberté de religion et de croyance, considèrent qu’une telle utilisation de la législation de lutte contre l’extrémisme « pour confiner la liberté d’opinion, y compris la croyance, l’expression et l’association religieuses, à celle qui est approuvée par l’État, est illégale et dangereuse, et signale un avenir sombre pour toute liberté religieuse en Russie ». Aussi exhortent-ils les autorités russes à abandonner ce procès en conformité avec leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme et « à réviser leur législation anti-extrémisme et sa mise en œuvre afin d’éviter les violations fondamentales des droits de l’homme ».

Plus proche de nous, l’association Human Rights Without Frontiers International sise à Bruxelles a appelé elle aussi la Fédération de Russie à ne pas interdire les Témoins de Jéhovah et encouragé les lecteurs de sa newsletter à envoyer un courrier pour exprimer leur inquiétude auprès de l’Ambassade de Russie à Bruxelles ou des autorités russes [4] . Le commentaire a expliqué, d’une part, que « les témoins de Jéhovah ne sont pas engagés politiquement et ne constituent pas une menace pour la sécurité de la société », et d’autre part, qu’ils s’opposent à toute violence et sont même emprisonnés pour leur refus de porter les armes ou d’accomplir un service militaire, là où la loi ne prévoit pas un service civil alternatif. L’association de défense des droits de l’homme a ainsi affirmé : « Quoique l’on puisse penser des croyances des Témoins de Jéhovah, la pratique de leur foi est clairement conforme au droit international et aux normes des droits de l’homme. »

Plusieurs spécialistes des libertés religieuses ou de sociologie des religions se sont aussi exprimés sur cette interdiction surprenante au nom de la lutte contre l’« extrémisme ». Ainsi Heiner Bielefeldt, ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de croyances, a-t-il déclaré : « Si les Témoins de Jéhovah sont extémistes, je pense que nous le sommes tous. » De son côté, le sociologue italien Massimo Introvigne, auteur de plusieurs ouvrages sur les Témoins de Jéhovah, relève avec pertinence que « le seul lien entre les Témoins de Jéhovah et la violence est qu’ils ont été victimes de violence ». Quant à Annika Hvithamar, directrice des études à l’Université de Copenhague, elle considère que « si les Témoins de Jéhovah sont extrémistes, alors la plupart des variantes du christianisme pourraient être accusées de la même chose ».

De grands journaux anglophones ont mené l’enquête à la veille de l’ouverture de l’audience devant la Cour suprême de la Fédération de Russie. Par exemple, le New York Times du 4 avril 2017 décrit comment un professeur d’éducation physique a perdu son emploi et est désormais signalé informatiquement comme personne « extrémiste », simplement parce qu’il est ministre du culte au sein d’un groupe de Témoins de Jéhovah [5] . Comme l’explique Alexander Verkhovsky, directeur du Centre d’Information et d’Analyses SOVA : « Je ne peux imaginer que quelqu’un pense réellement qu’ils constituent une menace. Mais ils sont vus comme une bonne cible. Ils sont pacifiques, ils ne peuvent donc se radicaliser, quoique vous leur fassiez. Ils peuvent être utilisés pour envoyer un message. » Effectivement, cette mesure envoie un avertissement montrant que la moindre déviation des normes imposées par le régime actuel risque de tomber sous le coup de la loi anti-extrémisme, en déduit le New York Times. D’autres y voient une mesure de protection de l’hégémonie de l’Église orthodoxe.

Aussi le Musée de l’Holocauste à Washington s’est-il dit « profondément préoccupé par les récents rapports sur le harcèlement des Témoins de Jéhovah en Russie », en renvoyant à l’article précité du New York Times. La directrice du Musée Sara J. Bloomfield explique dans son communiqué de presse du 7 avril 2017 : « L’Holocauste nous enseigne les dangers du ciblage par l’État de quelque groupe que ce soit. Bien que ce qui se passe en Russie ne soit pas du tout comparable à l’Allemagne nazie, il est important de se rappeler que le parti nazi percevait les Témoins de Jéhovah comme une menace pour l’État et les a soumis à une persécution intense [6]. »