La tribune du juriste

L’impossible droit à l’oubli d’un baptême religieux
Olex, mars 2015

- Modifié le 22 avril 2023

Les articles 50 et 51 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 15 août 1539 promulguée par François 1er vont obliger les curés des paroisses à tenir des registres des baptêmes et des sépultures, marquant ainsi le début de la tenue de l’état civil. La Révolution de 1789 procéda à une refonte complète et radicale des organisations administratives et fiscales de l’Ancien Régime et mit en place les cadres de la France moderne. La commune prend la place de la paroisse. Ainsi, l’article 7 du Titre II de la Constitution du 3 septembre 1791 affirme : « Le Pouvoir législatif établira pour tous les habitants, sans distinction, le mode par lesquelles naissances, mariages et décès seront constatés ; et il désignera les officiers publics qui en recevront et conserveront les actes. » Par décret adopté le 20 septembre 1792 par l’Assemblée législative, la tenue du registre d’état civil va être confiée aux autorités municipales. Le maire devient en charge de l’état civil de sa commune. Cependant, chaque paroisse va continuer à tenir un registre des baptêmes.

De nombreux événements de la vie d’une personne peuvent modifier son état civil : mariage, divorce, naissance d’un enfant, décès, changement de nom ou de prénom… Les idéaux, convictions, croyances de quiconque peuvent également évoluer, avec ce désir de tirer un trait définitif sur son passé et sur tous les événements qui y renvoient. Ainsi, les croyances religieuses d’une personne n’étant pas figées, elle peut devenir athée ou changer de religion et souhaiter ne plus avoir aucun lien et rapport avec son ancienne religion. Par exemple, si elle a pris le baptême dans une église, elle aimerait peut-être en effacer la mention. Mais est-ce possible ? Dans un arrêt rendu le 19 novembre 2014, la Cour de cassation a répondu par la négative. Elle a refusé à un homme la suppression de la mention de son baptême catholique sur le registre d’une paroisse. Certains diront : baptisé catholique un jour, baptisé catholique pour toujours ! En effet, telle est la conclusion qui semble se dégager de cet arrêt. Revoyons les faits et l’ensemble de la procédure de cette affaire.

René L est né le 9 août 1940 à Fleury, village du département de la Manche. Il fut baptisé le 11 août 1940 à l’église catholique de cette commune. Par courrier du 31 mai 2001, il a sollicité de l’évêque de Coutances et du curé de Fleury que la phrase « a renié son baptême par lettre datée du 31 mai 2001 » soit mentionnée sur le registre des baptêmes au regard de son nom. La mention a été apposée le 6 juin 2001. Le même jour, René L a été informé de cette apposition.

Par courriers en date des 15 avril 2009 et 16 juin 2009, René L a demandé à l’évêque de Coutances d’être radié du registre des baptêmes. Sa demande ne reçut aucune suite favorable. René L a alors saisi le Président du Tribunal de Grande Instance de Coutances pour voir ordonner l’effacement de la mention de son baptême sur le registre de l’église. Par ordonnance de référé en date du 12 mai 2010, cette demande a été rejetée.

Par acte d’huissier en date du 26 juillet 2010, René L va assigner l’association diocésaine de Coutances et l’évêque de Coutances devant le Tribunal de Grande Instance de Coutances sur les fondements de l’article 9 du Code civil (visant à protéger la vie privée) et des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique et aux libertés.

René L sollicita « du Tribunal d’ordonner à l’association diocésaine et à l’évêque de Coutances de procéder par tout moyen définitif à l’effacement sur le registre des baptêmes de la mention selon laquelle il avait été baptisé le 11 août 1940 et dire qu’ils disposeront d’un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir et que passé ce délai, ils y seront conjointement tenus sous astreinte de 150 Euros par jour. »

Par jugement du 6 octobre 2011, le Tribunal va accueillir favorablement la demande de René L. Il va rappeler qu’en application de l’article 9 du Code civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée et les juges peuvent prescrire toute mesure propre à empêcher ou à faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée. » Il va préciser que la notion de « vie privée » au sens de l’article 9 du Code civil « comprend toute information relative à la personne. »

Ainsi, il va juger que « le fait d’avoir été baptisé par l’église catholique est un événement intime constituant une information personnelle sur un individu, en dehors de toute considération sur le fait que ce baptême révèle ou non une appartenance ou une pratique religieuse. Dès lors, cet événement relève de la protection de l’article 9 du Code civil. » De plus, il va souligner que « l’existence d’une mention de ce baptême sur un registre accessible à des personnes tierces à l’individu concerné, même si ce registre n’est pas consultable par tous, constitue en soi une divulgation de ce fait qui porte par conséquence atteinte au respect de vie privée » de René L. Aussi, le Tribunal va estimer qu’il est « superfétatoire de répondre aux moyens fondés sur les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique et aux libertés. »

Le tribunal va ordonner à l’association diocésaine et à l’évêque de Coutances de procéder sur le registre des baptêmes « à l’effacement définitif de la mention » selon laquelle René L avait été baptisé le 11 août 1940, « et ce pour tout moyen et par exemple par le surlignage à l’encre noire indélébile de cette mention. »

Le Tribunal va également demander à ce que cet effacement intervienne dans les 30 jours à compter de la signification du jugement. Afin d’assurer l’exécution de cette obligation de faire, il va assortir son jugement d’une astreinte de 15 euros par jour de retard [1].

L’association diocésaine de Coutances va interjeter appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Caen. L’intervention volontaire de l’administrateur du diocèse de Coutances, à qui revenait la tâche de gérer la tenue des registres de baptême dans son ressort, a été admise. Ils soutenaient que la seule mention d’un nom sur un registre de baptême accessible à un nombre restreint de personnes tenues au secret ne saurait constituer une violation de la vie privée. Ils faisaient valoir que le baptême constitue un acte multilatéral et un fait objectif, qu’il a été apporté à René L une satisfaction suffisante et adaptée par l’apposition de la mention de reniement sur le registre des baptêmes et qu’accueillir les exigences de René L affecterait la liberté d’organisation du culte.

Quant à René L, il concluait à la confirmation du jugement en son principe, soutenait, au contraire, que le maintien de la mention de son nom sur les registres de baptêmes et l’apposition de la rectification relative à son reniement sont de nature à révéler son positionnement à l’égard de la religion catholique et portaient atteinte à l’intimité de sa vie privée et à ses libertés fondamentales dès lors que le registre peut être consulté par des tiers.

Par un arrêt du 10 septembre 2013, la Cour d’appel de Caen va infirmer le jugement rendu par le TGI de Coutances. Ainsi, la demande de radiation du registre des baptêmes, fondée sur l’article 9 du Code civil, est rejetée. Pour la Cour d’appel, la relation sur le registre de l’église catholique de l’événement public que constitue la célébration du baptême de l’intéressé avec les mentions d’usage relatives aux identités du baptisé, de ses parents et de ses parrain et marraine, « ne peut porter atteinte à la vie privée » de René L. Elle estime que « seule la divulgation de cette information dans des conditions fautives serait susceptible de caractériser un tel manquement ». Elle précise aussi que « la révélation d’une appartenance religieuse ou d’un défaut d’appartenance religieuse n’est attentatoire à la vie privée que si elle a pour objectif ou pour effet de déconsidérer la personne en cause ou de susciter des attitudes discriminatoires à son égard ». De plus, elle relève « qu’en l’espèce aucun comportement de cette sorte n’est imputable, ni d’ailleurs imputé, aux représentants officiels de l’église catholique. »

La Cour ajoute que René L ne peut se plaindre « de ce que la relation objective d’un fait auquel il n’a pu consentir (n’étant âgé que de quelques jours au moment du baptême) ait été complétée, à sa demande 60 ans plus tard, par la mention d’une renonciation relavant, elle, du libre exercice de ses droits individuels ».

La Cour rejeta également la demande de radiation du registre des baptêmes sur le fondement de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978. D’abord elle rappelle que « les registres de baptême, qui conservent des informations relatives à l’adhésion personnelle, ou par représentation, d’une personne à une religion, relèvent de la catégorie des traitements non automatisés de données à caractère personnel, soumis comme tels à la loi du 6 janvier 1978 », notamment ses articles 1, 6, 7 et 8, et qu’en l’espèce, « les exigences légales ont été et demeurent respectées ».

Ensuite, la Cour relève qu’à « première réquisition, la rectification demandée par l’intéressé quant au reniement de son baptême, qui constituait un fait dont la réalité historique n’était pas contestée, a été opérée. Elle a permis l’actualisation de la position de l’intéressé au regard de son appartenance religieuse. L’acte lui-même a été dressé et conservé dans une finalité légitime, celle de permettre l’établissement d’actes ultérieurs dans le cadre de l’administration du culte catholique. » Le droit d’accès et de rectification a donc bien été respecté.

Elle va ajouter que le registre des baptêmes « ne méconnait pas les droits fondamentaux de la personne concernée dès lors que celle-ci peut y voir consigner sa volonté de ne plus se reconnaitre membre de l’église catholique ».

Enfin, elle va conclure que « la liberté de [René L] de ne pas appartenir à la religion catholique est-elle respectée sans qu’il y ait lieu à effacement ou correction supplémentaire du document litigieux », et que « le registre des baptêmes qui ne concerne que des membres de l’église catholique (représentants du mineur baptisé, parrain, marraine, prêtre) ne peut être communiqué qu’à des ministres du culte et à l’intéressé et il n’est pas accessible à des tiers » [2].

René L va se pourvoir en cassation. D’abord, il va soutenir, sur le fondement de l’article 9 du code civil, que l’appartenance à la religion catholique, que scelle la célébration du baptême, est au nombre des données relevant de la vie privée. Dès lors, la personne intéressée est en droit d’obtenir que la mention du baptême, qui concerne sa vie privée, soit effacée des registres de la paroisse au sein de laquelle le baptême a été célébré au titre de l’article 9 du code civil.

Ensuite, il va soutenir, toujours sur le fondement de l’article 9 du code civil, que le droit à la protection de la vie privée doit prévaloir quand bien même la donnée, relative à la vie privée, ne serait accessible qu’à un petit nombre de personnes et peu important que celles-ci soient tenues au secret.

Enfin, selon les prétentions de René L basées sur l’article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978, « si une institution religieuse, telle que l’église catholique, peut conserver des données ayant trait à une personne qui relève de cette institution ou qui entretient des contacts réguliers avec elle, en revanche la conservation de données est exclue peu importe les conditions d’accès à ces données, dès lors que la personne a manifesté sa volonté de ne plus relever de l’institution et de n’avoir plus de contact avec elle ».

La Cour de cassation dans son arrêt du 19 novembre 2014 va rejeter le pourvoi de René L. La Haute juridiction approuve les juges d’appel qui ont conclu à l’absence de violation de l’article 9 du code civil, rappelant que « la consultation du registre qui portait mention du baptême n’était ouverte, l’intéressé mis à part, qu’aux ministres du culte, eux-mêmes tenus au secret, et que la seule publicité donnée à cet événement et à son reniement émanait de [René L]. » Les juges d’appel sont également approuvés quant à la non-violation de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978, car comme le souligne la juridiction suprême « la mention “a renié son baptême par lettre datée du 31 mai 2001” a été inscrite sur ce registre le 6 juin 2001 en regard de son nom » et que « dès le jour de son administration et en dépit de son reniement, le baptême constituait un fait dont la réalité historique ne pouvait être contestée » [3].

Concernant l’absence d’atteinte à la vie privée, la solution dégagée par la Cour de cassation n’est pas nouvelle. En effet, elle a déjà jugé que la révélation de l’appartenance politique, religieuse ou philosophique d’une personne ne constituait pas une atteinte à la vie privée [4]. La Haute juridiction a pu juger que ne constituait pas une atteinte à la vie privée, la révélation dans un article de presse relatif de l’appartenance d’un maire d’une commune et d’autres membres du conseil municipal à la franc-maçonnerie, dès lors que cette révélation s’inscrit dans le contexte d’une actualité judiciaire et est justifiée par l’information du public sur un débat d’intérêt général [5]. De la même façon, la participation publique à des pratiques religieuses d’un culte autorisé, si elle vient à être révélée, n’est pas considérée comme une atteinte fautive au respect de la vie privée, en l’absence de toute volonté de nuire ou de tout souci de susciter des attitudes discriminatoires agressives [6].

En revanche, cette révélation constituerait une atteinte à la vie privée si elle était réalisée en vue de déconsidérer la personne concernée et de susciter des attitudes discriminatoires [7]. Ainsi, la CEDH a jugé que l’obligation légale faite aux seuls membres d’une association maçonnique de déclarer leur affiliation lorsqu’ils se portaient candidat à des charges publiques régionales emportait violation de l’article 14 de la Convention (interdiction de la discrimination). En l’espèce une loi italienne faisait une distinction entre les associations secrètes et maçonniques, dont l’appartenance devait être déclarée, et toutes les autres associations, dont les membres étaient exemptés de cette obligation. Pour la Cour, il y avait donc une différence de traitement entre les membres de l’association requérante et les membres de toute autre association non-secrète [8].

Concernant la non-violation de la loi du 6 janvier 1978, son article 8-I pose le principe d’interdiction de collecte de données sensibles : « il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci. » Le non respect de cette interdiction est passible des sanctions pénales prévues par l’article 226-19 du code pénal (5 ans d’emprisonnement et 300 000 Euros d’amende).

Néanmoins l’article 8-II assortit le principe d’interdiction d’un certain nombre de restrictions. Il dispose que « dans la mesure où la finalité du traitement l’exige pour certaines catégories de données, ne sont pas soumis à l’interdiction prévue au I : (…) 3° Les traitements mis en œuvre par une association ou tout autre organisme à but non lucratif et à caractère religieux, philosophique, politique ou syndical : - pour les seules données mentionnées au I correspondant à l’objet de ladite association ou dudit organisme ; - sous réserve qu’ils ne concernent que les membres de cette association ou de cet organisme et, le cas échéant, les personnes qui entretiennent avec celui-ci des contacts réguliers dans le cadre de son activité ; - et qu’ils ne portent que sur des données non communiquées à des tiers, à moins que les personnes concernées n’y consentent expressément (…) ».

C’est sur ce dernier point que l’arrêt de la Cour de cassation parait critiquable. Contrairement à ce qu’affirme la Cour de cassation, le baptême n’est pas simplement un fait historique, c’est un acte volontaire qui permet de symboliser publiquement son appartenance à telle ou telle confession. Il est possible de lire sur le site Internet de l’Église catholique de France que « le baptême est le sacrement de la naissance à la vie chrétienne : marqué du signe de la croix, plongé dans l’eau, le nouveau baptisé renaît à une vie nouvelle. L’onction avec le Saint Chrême lui donne son nom de chrétien et dit sa mission. Devenu chrétien, le nouveau baptisé peut vivre selon l’Esprit de Dieu. » [9]

Aussi, René L n’a jamais demandé formellement à être baptisé, puisqu’il le fut deux jours après sa naissance par décision de ses parents, donc sans son consentement. En effet, il est impossible à un enfant de deux jours d’exprimer librement sa volonté et de comprendre la portée d’un tel acte ! Ses parents ont décidé unilatéralement quelle serait la religion de leur enfant. Pourtant, une telle décision unilatérale n’apparait pas choquante pour la Haute juridiction qui confirme sa jurisprudence. En effet, dans un arrêt du 11 juin 1991, elle a déjà estimé qu’un enfant ne peut, sans l’accord exprès de ses deux parents, changer librement de religion qu’à sa majorité légale quand bien même il exprimerait et expliquerait de manière éclairée, explicite et compréhensible les raisons de son choix.

En l’espèce, un conflit opposait des parents au sujet de leur fille âgée de plus de 15 ans. Elle souhaitait recevoir le baptême conféré par la religion des témoins de Jéhovah. Devant le juge des tutelles, elle a indiqué qu’il s’agissait d’un choix personnel et décrit les activités auxquelles elle participait. Elle a déclaré que sa pratique religieuse n’affectait ni sa vie scolaire, ni sa vie personnelle. Son père a approuvé le comportement de sa fille. En revanche, sa mère s’y opposait. Par jugement du 10 octobre 1989, le TGI de Saint-Brieuc n’autorisa pas le baptême, estimant que « s’agissant d’une conversion, le baptême dans le cadre du mouvement des “Témoins de Jehovah” ne pouvait procéder que du choix d’un adulte ». La Cour de cassation confirma le jugement rendu par le TGI de Saint-Brieuc estimant que l’adolescente « était née de parents catholiques et avait été baptisée dans leur religion » et « qu’il convenait d’attendre qu’elle soit devenue majeure pour exercer son choix » [10].

La position de la Cour de cassation parait difficilement soutenable car il existe de nombreuses situations dans lesquelles un mineur peut agir par lui-même sans devoir, au préalable, obtenir l’accord de ses parents. Par exemple, un mineur peut, sous certaines conditions légales, conduire à l’âge de 14 ans des cyclomoteurs de 50 cm³ maximum ou des quadricycles légers [11], apprendre à conduire une automobile à partir de l’âge de 15 dans le cadre de l’apprentissage dit anticipé de la conduite [12], piloter seul un avion léger à l’âge de 15 ans [13], créer une entreprise à l’âge de 16 ans [14]. Un mineur de 15 ans et plus ferait-il davantage preuve de maturité pour conduire une voiture, piloter un avion, créer une entreprise que pour décider de ses choix religieux ?

De plus, l’article 144 du code civil prévoit que « le mariage ne peut être contracté avant dix-huit ans révolus ». Cependant, l’article 145 du code civil précise qu’il est « loisible au procureur de la République du lieu de célébration du mariage, d’accorder des dispenses d’âge pour des motifs graves ». Le procureur de la République a donc le pouvoir souverain d’apprécier la gravité des motifs afin d’autoriser ou de refuser le mariage d’un mineur. L’article 148 du code civil ajoute que « les mineurs ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment entre le père et la mère, ce partage emporte consentement. » Le consentement d’un seul des parents suffit pour qu’un mineur puisse se marier, alors qu’il lui faut celui de ses deux parents pour se faire baptiser ! Pourquoi une telle différence ? Le mariage d’un enfant mineur aurait-il moins de conséquences que son baptême religieux ? Un seul parent ne serait-il pas capable d’apprécier la portée d’un baptême religieux ?

Également, l’article 8-II prévoit que le traitement mis en œuvre par une association ou un organisme à but non lucratif et à caractère religieux est possible sous réserve qu’il concerne un membre de cette association ou de cet organisme et que ce membre entretien avec celui-ci des contacts réguliers dans le cadre de son activité. Or, Monsieur René L n’a jamais exprimé clairement et de manière intelligible sa volonté de faire partie de l’Église catholique. De plus, il n’entretenait aucun contact avec elle.

Enfin, les arguments selon lesquels la consultation du registre qui portait mention du baptême n’était ouverte, à l’intéressé mis à part, qu’aux ministres du culte, eux-mêmes tenus au secret, et que le baptême de René L constituait un fait historique auraient du être jugés inopérants et ce pour deux raisons.

D’une part, il existe des fichiers contenant des informations personnelles et sensibles, dont la consultation est réservée uniquement à certaines autorités et à la personne « fichée » et qui peuvent être effacées au bout d’un certain délai ou sur demande expresse de la personne « fichée ». Prenons par exemple la consultation et le retrait d’informations du casier judiciaire. Le code pénal prévoit les conditions dans lesquelles il peut être communiqué et voir les condamnations inscrites être effacées [15].

Ainsi, il est possible de lire sur le site Internet du Ministère de la justice : « Sont retirées du casier judiciaire les fiches relatives aux : condamnations prononcées pour contravention de police après un délai de 3 ans ; mesures ou sanctions éducatives prononcées à l’encontre des mineurs, après un délai de 3 ans et sur décision du tribunal des enfants ; condamnations bénéficiant de l’amnistie ; condamnations bénéficiant d’une décision de réhabilitation judiciaire ordonnant le retrait du casier judiciaire ; décisions disciplinaires effacées par la réhabilitation ; jugements prononçant les sanctions commerciales de la faillite personnelle ou de l’interdiction de gérer après un délai de 5 ans sauf cas particuliers ; mentions relatives à la composition pénale, après un délai de 3 ans. Les condamnations pénales prononcées depuis plus de 40 ans et qui n’ont pas été suivies d’une nouvelle condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle sont retirées du casier judiciaire » [16]. Ainsi, certaines condamnations sont effacées automatiquement après un certain délai, tandis que d’autres le sont après acceptation de la demande de réhabilitation formulée par l’individu condamné. Pourtant, la mention des condamnations ne permet-elle pas de retracer la « vie pénale » d’un individu, d’en garder une référence historique ? Quelle serait donc la différence entre le casier judiciaire et un registre des baptêmes ? Y aurait-il un intérêt historique supérieur à garder la trace d’un baptême religieux que d’une condamnation pénale ?

De plus, à l’instar du registre des baptêmes, la consultation du casier judiciaire est restreinte. En effet, le casier judiciaire comporte 3 bulletins, appelés bulletin n° 1, bulletin n° 2 et bulletin n° 3. Les différences entre ces 3 bulletins sont : les condamnations qui y figurent et les personnes pouvant y avoir accès. Le bulletin n° 1 ne peut être délivré qu’aux autorités judiciaires (tenues au secret) et aux greffes des établissements pénitentiaires (également tenus au secret) dans le cadre de l’instruction de certaines mesures d’exécution de la peine d’emprisonnement. Le bulletin n° 2 ne peut être délivré qu’à des autorités administratives ou militaires (tenues au secret) et pour des motifs précis, ainsi que par certains employeurs privés. Enfin, le bulletin n° 3 ne peut être délivré qu’à la personne concernée [17].

D’autre part, la loi informatique et libertés a institué un droit d’opposition à toute personne dont les données personnelles font l’objet d’un traitement. Ce droit peut être exercé gratuitement et sans contrepartie. Ainsi, son article 38 dispose que « toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement. Elle a le droit de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur. Les dispositions du premier alinéa ne s’appliquent pas lorsque le traitement répond à une obligation légale ou lorsque l’application de ces dispositions a été écartée par une disposition expresse de l’acte autorisant le traitement. »

Le droit d’opposition peut être exercé quand il est fondé sur des motifs légitimes ou quand il a pour objet de faire obstacle à ce que des données soient utilisées à des fins de prospection commerciale. Quelle est la sanction encourue en cas de non respect de ce droit d’opposition ? En vertu des dispositions de l’article 226-18-1 du Code pénal « le fait de procéder à un traitement de données à caractère personnel concernant une personne physique malgré l’opposition de cette personne, lorsque ce traitement répond à des fins de prospection, notamment commerciale, ou lorsque cette opposition est fondée sur des motifs légitimes, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 Euros d’amende. » Le plus difficile est d’apprécier la notion de « motifs légitimes », le législateur ne l’ayant pas définie. C’est le juge qui appréciera au cas par cas si un motif est légitime ou non [18].

Ainsi, la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 septembre 2004, a jugé que constitue un motif légitime le fait pour une personne de s’opposer à ce que ses données personnelles soient maintenues dans les fichiers de l’Église de scientologie et a précisé qu’en matière politique, philosophique ou religieuse, la légitimité de l’opposition est remplie par le seul exercice de cette faculté [19]. Selon la Cour de cassation, le simple fait de ne plus vouloir apparaitre dans les fichiers de l’Église de scientologie constitue un motif légitime. Mais dans le cas de René L., il est possible de déduire de l’arrêt que la suppression de son nom dans le registre des baptêmes de la paroisse de Coutances (Église catholique) ne serait pas légitime même si René L affirmait ne pas être croyant. Pourtant, la Cour de cassation a affirmé qu’en matière religieuse, la légitimité de l’opposition est remplie par le seul exercice de cette faculté sans la conditionner à l’appartenance à une religion établie ou à un nouveau mouvement religieux minoritaire. Les arrêts de la Cour de cassation de 2004 et 2014 semblent contradictoires et soulèvent la question de la différence de traitement entre les religions établies ou reconnues et les mouvements religieux minoritaires qualifiés de mouvements à dérives sectaires. Serait-ce un privilège, un honneur que de voir son nom inscrit dans un registre tenu par l’Église catholique alors qu’il serait éminemment infamant de le voir dans le fichier d’un mouvement religieux minoritaire qualifié de mouvement à caractère sectaire ? N’y aurait-il pas là une différence de traitement constitutive d’une discrimination car fondée en particulier sur l’appartenance à tel ou tel mouvement religieux ?

Certains objecteront que dans le cas de René L, il ne s’agissait que d’un registre des baptêmes tenu sous format « papier », que René L n’a jamais été contacté par courrier par le diocèse de Coutances alors que dans le cas de l’Église de scientologie, les données étaient enregistrées sur un fichier numérique et l’Église de scientologie a continué d’envoyer des courriers malgré l’opposition formulée par un ancien membre. Néanmoins, l’alinéa 2 de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978 précise que les dispositions de la présente loi s’appliquent « aux traitements automatisés de données à caractère personnel, ainsi qu’aux traitements non automatisés de données à caractère personnel contenues ou appelées à figurer dans des fichiers ». Ainsi, il n’y a aucune différence à opérer entre un fichier « papier » où le traitement des données n’est pas automatisé et un fichier numérique.

De plus, l’alinéa premier de l’article 40 de la loi du 6 janvier 1978 dispose que « toute personne physique justifiant de son identité peut exiger du responsable d’un traitement que soient, selon les cas, rectifiées, complétées, mises à jour, verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, qui sont inexactes, incomplètes, équivoques, périmées, ou dont la collecte, l’utilisation, la communication ou la conservation est interdite. » Cependant, dans le cas de René L, la Cour de cassation n’aurait-elle pas fait prévaloir la supériorité du droit canonique sur les lois de la République ? N’y aurait-il pas violation des articles 8 (droit au respect de la vie privée) et 9 (liberté de pensée, de conscience et de religion) de la Convention européenne des droits de l’homme ?

La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a rappelé à de nombreuses reprises que, « telle que protégée par l’article 9 de la Convention, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de la Convention. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société » [20]. Cette liberté implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer [21]. Elle permet aussi à une personne de ne plus adhérer à une religion et de changer de religion librement.

La CEDH a eu à se pencher sur des affaires concernant la possibilité pour un individu de faire modifier la mention de sa religion sur des documents officiels et non consultables par des tiers. Lors de ces affaires, la CEDH a rappelé que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction comporte un aspect négatif, à savoir le droit de ne pas être obligé de manifester sa religion ou d’agir en sorte qu’on puisse tirer comme conclusion qu’un individu a, ou n’a pas, telles convictions.

Par exemple, dans l’affaire Sinan Isik c. Turquie, le requérant se plaignait du fait d’être obligé de révéler sa croyance en raison de la mention obligatoire de la religion reprise sur sa carte d’identité, sans son consentement, en méconnaissance du droit à la liberté de religion et de conscience. De plus, le requérant soutenait que le rejet de sa demande de remplacement de la mention « islam » par celle de sa confession « alévie » sur sa carte d’identité s’analyse en une ingérence dans son droit à la liberté d’exercer sa religion.

Pour la CEDH, le fait de demander par écrit aux autorités la suppression de la religion sur les registres civils et la carte d’identité, de même que le simple fait d’être porteur d’une carte d’identité comportant une case « religion » laissée vide, revient pour le porteur de la carte d’identité à divulguer contre son gré une information relative à un aspect de sa religion ou de ses convictions les plus profondes. La Cour note que la carte d’identité étant utilisée couramment dans la vie quotidienne, elle constitue « de facto un document imposant au requérant la déclaration involontaire de ses croyances religieuses lors de chaque usage ». Elle va juger que pareille situation va sans nul doute à l’encontre du concept de liberté de ne pas manifester sa religion ou sa conviction et emporte violation de l’article 9 de la Convention [22].

Également, la CEDH a eu à connaitre d’une requête, introduite devant elle en 2003, par un ressortissant allemand qui se plaignait que la mention obligatoire, sur sa fiche d’imposition sur le revenu, de sa non-appartenance à une société religieuse habilitée à lever l’impôt cultuel constituait une violation des articles 8 et 9 ainsi que de l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec l’article 9 de la Convention. Le requérant affirmait que l’obligation que lui était faite s’analyse en une ingérence dans son droit de ne pas déclarer ses convictions religieuses. Il soulignait que, selon le système fiscal allemand, l’appartenance religieuse ne doit pas seulement être communiquée aux autorités fiscales, mais aussi et surtout à l’employeur, c’est-à-dire à une personne privée.

La Cour va rappeler en particulier « que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction comporte également un aspect négatif, à savoir le droit pour l’individu de ne pas être obligé d’agir de telle sorte que l’on puisse en déduire qu’il a – ou n’a pas – de telles convictions. Il n’est pas loisible aux autorités étatiques de s’immiscer dans la liberté de conscience d’une personne en s’enquérant de ses convictions religieuses ou en l’obligeant à les manifester ».

La Cour va noter « en l’espèce que la mention litigieuse ne renseigne pas sur l’appartenance religieuse du requérant, mais indique uniquement que celui-ci ne fait pas partie d’une Église ou d’une société religieuse habilitées à prélever l’impôt cultuel et se prévalant de ce droit » et estimer « toutefois que l’obligation faite au requérant de donner le renseignement requis aux autorités fiscales constitue une ingérence dans le droit du requérant de ne pas déclarer ses convictions religieuses. »

Cependant, la Cour va observer « que la mention “—” sur la carte d’imposition n’a qu’une portée limitée en ce qui concerne l’appartenance et l’orientation religieuse ou philosophique du requérant. En effet, la mention renseigne les autorités fiscales uniquement sur le fait que le requérant n’appartient pas à l’une des six Églises ou sociétés religieuses habilitées à lever l’impôt cultuel en Bavière et exerçant ce droit en pratique. En revanche, elle ne permet de tirer aucune conclusion concernant la pratique religieuse ou philosophique du requérant. »

Elle va relever que la carte d’imposition où doit être indiquée l’appartenance ou la non appartenance à une société religieuse habilitée à lever l’impôt cultuel « n’est en principe pas utilisée en public car elle est destinée à être présentée à l’employeur et n’a pas vocation à être utilisée en dehors des relations avec l’employeur ou les autorités fiscales. » Elle va constater aussi que les autorités allemandes n’ont pas demandé au requérant d’expliquer pourquoi il n’appartenait pas à l’une des sociétés religieuses autorisées à lever l’impôt cultuel et n’ont pas cherché à connaître ses convictions religieuses ou philosophiques. La Cour va en conclure que, dans les circonstances de l’espèce, l’obligation imposée au requérant n’était pas disproportionnée aux buts visés, et de ce fait à la non violation de l’article 9 de la Convention.

La Cour rappelle aussi « que la collecte, la mémorisation et la communication de données relatives à la “vie privée” d’un individu entrent dans le champ d’application de l’article 8 § 1 de la Convention », précisant que « même des données de nature publique peuvent relever de la vie privée lorsqu’elles sont, d’une manière systématique, recueillies et mémorisées dans des fichiers tenus par les pouvoirs publics » et de considérer que « l’obligation faite au requérant constitue une ingérence dans le droit de celui-ci au respect de sa vie privée ». Cependant, elle va estimer que « cette ingérence était prévue par la loi et proportionnée au but légitime poursuivi, au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. » Elle en conclut à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention [23].

Maintenant la question qui se pose est celle de la protection des données à caractère personnel car aujourd’hui elles sont de plus en plus collectées, sauvegardées et traitées au moyen d’outils numériques notamment sur Internet. Afin d’assurer la protection des données collectées, les institutions de l’Union Européenne ont mis en place des garde-fous : d’abord la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, puis le règlement (CE) n° 45/2001 du 18 décembre 2000 sur le traitement des données, puis la directive 2002/58/CE du 12 juillet 2002 (modifiée par la directive 2009/136/CE du 25 novembre 2009) sur la vie privée et les communications électroniques et enfin la directive 2006/24/CE sur la conservation des données. La Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne contient deux articles visant à protéger la vie privée et les données à caractère personnel : l’article 7 (Respect de la vie privée et familiale) et l’article 8 (Protection des données à caractère personnel). La France a transposé les nouvelles normes issues des directives de 2002 et 2009 dans une ordonnance publiée le 24 août 2011 (dite ordonnance « Paquet télécom ») qui modifie notamment l’article 32 II de la loi du 6 janvier 1978.

Il semblerait que l’Église catholique française fasse fi de ces dispositions, notamment celles concernant la circulation des données issues de la directive 95/46/CE. En effet, elle transmettrait les certificats de baptême de ressortissants français expatriés en Allemagne aux autorités religieuses de ce pays afin que ces dernières lèvent l’impôt sur les cultes. Telle est la mauvaise surprise arrivée à un ressortissant français baptisé mais qui se revendique athée. Le ministère de la Justice ainsi que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ont été saisis de ce problème [24]. La seule solution pour éviter l’impôt sur les cultes : demander la radiation de son baptême. Mais sa radiation ne signifiera pas sa suppression !

Toujours dans cette problématique de protection de la vie privée et des données à caractère personnel, nous pouvons constater aujourd’hui l’émergence d’un nouveau phénomène : de plus en plus de personnes souhaitent obtenir l’effacement de leurs données personnelles collectées notamment sur Internet. Nous parlons alors du droit à l’oubli numérique. Il est intéressant de noter qu’en France ce droit à l’oubli numérique s’est renforcé ces dernières années. Hormis dans la loi informatique et liberté de 1978, ce principe se retrouve dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 et dans la loi HADOPI II du 28 novembre 2009. De même, sous l’égide de Nathalie Kosciusko-Morizet, alors secrétaire d’État chargée de la Prospective et du Développement de l’économie numérique, deux chartes du droit à l’oubli numérique ont été signées en 2010 : la charte de déontologie sur la publicité ciblée et la protection des internautes et la charte du droit à l’oubli numérique dans les sites collaboratifs et moteurs de recherche. Précisons que cette dernière n’a pas été signée par les sociétés Google et Facebook [25] et qu’elle ne constituait rien de plus qu’une déclaration d’intention et se contentait de fixer de vagues objectifs.

Mais de manière concrète, le véritable droit à l’oubli numérique a été consacré par un arrêt rendu le 13 mai 2014 par la Grande Chambre de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). En 2012, la CJUE a été saisie par la juridiction espagnole, dans le cadre d’un litige opposant Google à l’autorité de protection des données personnelles. Cette autorité avait été saisie, par un citoyen Espagnol, d’une réclamation à l’encontre d’un quotidien de grande diffusion ainsi qu’à l’encontre de Google Spain et de Google Inc. Le requérant demandait notamment que soit ordonné à Google Spain ou à Google Inc. de supprimer ou d’occulter ses données personnelles afin qu’elles cessent d’apparaître dans les résultats de recherche. L’autorité de protection des données va faire droit à la demande du requérant et ordonner à Google, à l’occasion de l’instruction de la plainte, de désindexer les données relatives à deux articles de presse évoquant les dettes passées et réglées par le plaignant, afin qu’elles disparaissent des résultats de la recherche faite sur le nom du plaignant. Google Spain et Google Inc. vont saisir la justice espagnole qui elle-même va saisir la CJUE de questions préjudicielles relatives à l’interprétation conjointe de la directive 95/46/CE et des articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux.

Dans son arrêt, la Cour juge notamment que les exploitants de moteurs de recherche sont des responsables de traitement au sens de la directive 95/46/CE sur la protection des données personnelles. La CJUE estime qu’une personne peut s’adresser directement à un moteur de recherche pour obtenir la suppression des liens vers des pages web contenant des informations portant atteinte à sa vie privée. Cependant, elle va préciser qu’un tel droit n’est pas absolu. Si le droit au respect de la vie privée et à la protection des données personnelles garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne prévaut sur l’intérêt économique du moteur de recherche, la suppression de telles données doit être appréciée au cas par cas. Cette analyse se fera en fonction de la nature de l’information, de sa sensibilité pour la vie privée de la personne concernée et de l’intérêt pour le public à la recevoir, en raison notamment du rôle joué dans la vie publique par cette personne [26].

Les juridictions françaises vont pleinement appliquer la solution dégagée par la CJUE. Ainsi, par une ordonnance de référé du 16 septembre 2014, le TGI de Paris a enjoint Google France de déréférencer, sous astreinte provisoire de 1 000 € par jour de retard, plusieurs liens renvoyant à des contenus qui avaient été jugés diffamatoires par le tribunal correctionnel de Paris, en mars 2014 [27]. Également, le TGI de Paris a condamné, le 19 décembre 2014, la société Google à déréférencer un lien venant en résultat d’une requête sur son moteur de recherche faisant apparaître des données à caractère personnel d’une personne [28].

Ainsi, il apparait que le droit à l’oubli est un droit à géométrie variable, qu’il varie en fonction des circonstances et des motifs pour l’exercer. En matière cultuelle, ce droit semble bien difficile à mettre en œuvre et dépend du culte concerné. Enfin et de manière générale, le droit à l’oubli numérique se développe voire se renforce, alors que le droit à l’oubli « papier » semble se restreindre voire à devenir illusoire.

Notons aussi qu’il existe le baptême civil, appelé baptême républicain ou parrainage civil, qui est un acte laïc permettant de désigner, hors du cadre religieux, un ou plusieurs parrain(s) et marraine(s) à son enfant. Il se déroule à la mairie et il n’est pas inscrit au registre d’état civil [29]. A ce jour, le baptême civil n’est régi par aucun texte. Différentes propositions de loi visant à introduire la baptême civil dans le Code civil ont été déposées devant le Parlement [30]. Ces différentes propositions de loi prévoient la création d’un registre des parrainages civils ou républicains, les deux dernières prévoyant en plus l’inscription du parrainage au registre d’état civil du parrainé. Les mêmes questions se posent que pour le baptême religieux : baptisé civilement un jour, baptisé civilement pour toujours ? Le baptisé pourra-t-il exercer son droit à l’oubli et demander l’effacement de la mention de son baptême du registre des parrainages civils ? Seul l’avenir nous le dira.

Olex.