La tribune du juriste

Un regard juridique et judiciaire sur les rapports des commissions d’enquêtes parlementaires et des missions interministérielles dédiées aux dérives sectaires
Olex, octobre 2013

- Modifié le 23 avril 2023

Que penser des rapports établis par les commissions et missions évoquées dans le titre de cet article ? Quelle force juridique ont-ils ? Quel crédit accorder aux informations contenues ? Ces informations sont-elles confirmées par les faits ? Sont-elles validées par les décisions des juridictions judiciaires et administratives ? Cet article va tenter de répondre à ces questions.

Les rapports des commissions d’enquêtes parlementaires

De manière générale, pour le Conseil d’Etat, la prise en considération par le Gouvernement et par le juge, d’un rapport d’enquête parlementaire rendu public ne viole pas la règle de séparation des pouvoirs [1]. Mais ce type de rapport peut-il servir de base à une décision d’une autorité administrative ? La réponse est négative.

En effet, pour les juridictions françaises et européennes, les rapports d’enquêtes parlementaires n’ont aucun effet juridique et ils ne peuvent servir de fondement à aucune action pénale ou administrative [2]. De ce fait, si une autorité administrative est amenée à prendre une décision sur le fondement d’un tel rapport, cette décision pourra être attaquée devant le juge administratif et sera annulée car entachée d’erreur de droit [3].

Sur l’utilisation des informations contenues dans un rapport d’enquête parlementaire, la Cour de cassation se positionne de manière contrastée. En effet, elle admet que ce type de rapport puisse être régulièrement produit comme élément de preuve devant un tribunal [4]. Cependant, un détournement des informations qui y sont contenues, peut être constitutif du délit de diffamation publique envers un particulier. Pour rappel, la diffamation est une infraction pénale définie à l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, lequel dispose : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ». Selon l’article 32 de la même loi, l’auteur de l’infraction peut être condamné à un an d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende (peines maximales).

Ainsi, bien que l’article 26 de la Constitution de 1958 prévoit l’immunité des parlementaires en raisons des opinions ou votes qu’ils émettent dans l’exercice de leurs fonctions, la Cour de cassation va en refuser le bénéfice à Jean-Pierre Brard, alors député et rapporteur d’une commission d’enquête parlementaire sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes, auquel il était reproché, sous la qualification de diffamation publique, d’avoir imputé à l’une d’elles, lors d’un entretien accordé à un journaliste, de fonctionner « sur le mode de la criminalité internationale », car les propos litigieux « ne constituent pas un compte rendu fidèle du rapport de la commission d’enquête » et que, s’il était légitime de chercher à informer les lecteurs sur les différents aspects de la lutte contre les sectes, il appartenait néanmoins à l’auteur des propos, expert réputé en la matière, de veiller, dans un entretien « minutieusement préparé », à ne pas « user de termes approximatifs » et à ne pas procéder à « des amalgames hâtifs » [5].

Cependant, elle peut aussi reconnaitre le bénéfice de la bonne foi à l’auteur de propos fondés sur les conclusions d’un rapport parlementaire et exprimés avec prudence [6].

Est-il possible de s’opposer à la publication et à la diffusion d’un rapport d’enquête parlementaire ? Le Conseil d’État a rappelé qu’un rapport d’enquête parlementaire n’a pas le caractère d’un acte administratif susceptible d’être déféré au juge de l’excès de pouvoir [7], que la décision prise par le Premier ministre de faire publier un rapport d’enquête parlementaire dans la collection des « rapports officiels » de la Documentation française relève d’une appréciation d’opportunité qui n’est pas susceptible d’être discutée devant le juge de l’excès de pouvoir [8], et que le juge administratif est incompétent pour examiner un recours contre l’acte par lequel le président de l’Assemblée nationale a rendu public un rapport d’une commission d’enquête parlementaire [9].

Également, selon la cour administrative d’appel de Nantes, un rapport parlementaire ne constituant pas un acte des services des assemblées parlementaires, il ne peut, en vertu des dispositions de l’article 8 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées, être « susceptible d’engager la responsabilité de l’État du fait des dommages de toute nature qu’il cause (…) » et elle va aussi préciser que le rapport d’une commission d’enquête parlementaire « ne présente pas le caractère d’un acte administratif dont le contentieux ressortit à la compétence de la juridiction administrative » car une telle commission « n’est pas une autorité administrative » [10].

Les personnes auditionnées par une commission d’enquête ne peuvent pas exiger une modification du compte rendu de leur audition. En effet, en vertu des dispositions de l’article 6, alinéa 16, de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées « les personnes entendues par une commission d’enquête sont admises à prendre connaissance du compte rendu de leur audition. Cette communication a lieu sur place lorsque l’audition a été effectuée sous le régime du secret. Aucune correction ne peut être apportée au compte rendu. Toutefois, l’intéressé peut faire part de ses observations par écrit. Ces observations sont soumises à la commission, qui peut décider d’en faire état dans son rapport. » Cette disposition explique pourquoi certains comptes rendus ne sont pas la transcription exacte des propos tenus par les personnes entendues, affaiblissant parfois certaines argumentations développées.

Aussi, en vertu des dispositions de l’article 41, alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, « ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées », l’alinéa 3 précisant que « ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d’enquête créée, en leur sein, par l’Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d’y déposer, sauf s’ils sont étrangers à l’objet de l’enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi. » Ainsi, la Cour de cassation a jugé que la diffusion en direct d’une déposition faite devant une commission d’enquête parlementaire équivaut à un compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi [11].

Également, le TA de Paris a estimé qu’aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’État ne peut être retenue à l’encontre d’un agent public, du fait de ses déclarations, sous serment, devant une commission d’enquête parlementaire sauf le cas où les discours prononcés ou les écrits produits sont étrangers à l’objet de l’enquête, car les agents publics bénéficient de l’immunité prévue par l’article 41, alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881 précitée [12].

Concernant le contenu de ces rapports, il est arrivé que des membres de commissions d’enquête soient parfois revenus sur certains de leurs travaux en estimant que certains mouvements ont été à tort recensés dans la liste des mouvements sectaires. Ainsi, au cours d’une émission diffusée par la cinquième chaîne de télévision le 14 novembre 1998, Jacques Guyard, rapporteur de la commission d’enquête parlementaire de 1995, a déclaré : « l’association de l’arbre au milieu fait partie des mouvements qu’on n’aurait pas dû mettre dans la liste, parce que ce n’est manifestement pas une secte » [13].

Alain Gest, président de la commission d’enquête de 1995, prétendait que l’inscription des Témoins de Jéhovah sur une liste de sectes se fondait sur une « analyse très complète et très fine » des Renseignements généraux [14]. Or, la CAA de Paris a estimé dans un arrêt du 1er décembre 2005 que les Renseignements généraux n’avaient transmis à la commission que des documents contenant l’adresse de l’association Les Témoins de Jéhovah et de ses filiales, ainsi que des appréciations qualitatives très laconiques sur les effets de l’activité de l’association sur les individus et la société et du nombre de ses antennes par département [15].

Dans une circulaire du 27 mai 2005 relative à la lutte contre les dérives sectaires, le Premier ministre est venu préciser que l’évolution du phénomène sectaire « rend la liste de mouvements annexée au rapport parlementaire de 1995 de moins en moins pertinente » [16].

Yves Bertrand, ancien directeur central des Renseignements généraux de 1992 à 2004 s’est exprimé à travers un livre paru en 2007, sur la contribution de cette administration aux réflexions de la commission d’enquête de 1995 qui a élaboré la liste des sectes. Il a estimé que cette commission a rendu « un rapport très dur », que le travail effectué pour éclairer les parlementaires « a incontestablement vieilli », que certains groupes « à coté de sectes authentiques et dangereuses, pratiquant la déscolarisation des enfants, l’abus de faiblesse, voire la pédophilie (…) se sont vu un peu vite affubler du vocable de secte », qu’on a le droit de critiquer les Témoins de Jéhovah sans « pour autant les transformer en diable », et « qu’à placer sur le même plan certaines sociétés de pensée et d’authentiques mouvements sectaires qui aliènent la liberté de leur membres, on aboutit à l’inverse du but recherché. Sous prétexte de protéger la liberté de conscience, on empêche les citoyens d’embrasser les croyances de leur choix, ce qui est le contraire de la laïcité bien comprise... » [17]

En 2012, les sénateurs se sont emparés de la question des dérives sectaires en créant la commission d’enquête relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, qui a remis son rapport le 3 avril 2013. Pour la première fois, une commission d’enquête a donné la parole à ceux que les sénateurs ont appelé la « partie adverse » avec la possibilité, pour ceux qui n’ont pas demandé le huis clos, de visionner leur audition sur le site du Sénat. Cette décision a fait débat parmi les sénateurs composant cette commission. Selon Jacques Mézard, rapporteur de la commission, il leur est apparu assez rapidement « qu’il était sage de procéder de cette manière là ». Sur la nécessité des ces auditions, Alain Milon, président de la commission, s’exprima ainsi : « on pourrait très bien considérer que si nous n’auditionnions pas ces gens-là, nous ne serions pas complètement informés et que nous n’aurions que des informations contraires ». Ainsi, le principe du contradictoire, caractéristique d’un Etat de droit et démocratique, fut respecté [18]. Félicitons-nous de cette ouverture d’esprit.

Suite à la remise du rapport, un débat eut lieu le 11 juin 2013 au Sénat au cours duquel, la sénatrice Hélène Lipietz (avocate de profession), au nom du groupe écologiste au Sénat, a tenu un discours en rupture avec celui affiché durant près de trente années de lutte contre les « sectes » en France. Elle déclara : « après six mois de travaux menés par la commission d’enquête, travaux incluant notamment 72 auditions, un voyage, une visite au salon du bien-être un peu épuisante, je suis désolée de constater que je reste sur ma faim : je ne sais toujours pas ce qu’est une secte, ce qu’est une dérive et ce qui relève de l’escroquerie ou de l’abus de faiblesse classique » [19]. Saluons cette franchise dans l’expression de ses opinions ainsi que la vision équilibrée et objective qu’ont certains élus de la République sur le traitement de la question des mouvements sectaires.

Au cours de cette commission un certain nombre d’experts ont été auditionnés. Par exemple, Bernard Accoyer, député et ancien président de l’Assemblée nationale, s’est exprimé ainsi lors de son audition : « Autre domaine : la vaccination. En raison d’une croyance, pourtant démentie par les études scientifiques, qui établit un lien entre la vaccination contre l’hépatite et l’apparition de la sclérose en plaques, la France est le pays où le taux de vaccination est le plus faible et où cette maladie cause le plus de morts. » [20]

La Cour de cassation a adopté une toute autre vision sur les risques liés au vaccin contre l’hépatite B. Ainsi, la Haute juridiction a jugé dans deux affaires qu’il existait des présomptions graves, précises et concordantes permettant d’établir le lien entre la vaccination contre l’hépatite B et le déclenchement de la sclérose en plaques. De plus, pour la Cour de cassation, le fait de refuser d’établir le caractère défectueux du vaccin litigieux au motif que son bilan bénéfice/risque démontre que le risque « hépatite B » était « infiniment plus grand » que le risque « scléroses en plaques », rend un arrêt dépourvu de base légale [21].

Aussi, après la publication du rapport de la commission d’enquête, Alain Milon a fait une intervention à l’École nationale de la magistrature le 21 mai 2013 au cours de laquelle il a affirmé que les témoins de Jéhovah étaient « responsables de dérives sectaires » du fait de leur refus de la transfusion sanguine et de leur « entrisme dans le milieu hospitalier » [22]. Pourtant, dans une ordonnance en référé rendue le 16 août 2002, le Conseil d’État a rappelé que le refus d’une transfusion sanguine constitue « l’exercice d’une liberté fondamentale » [23]. Ainsi, l’exercice d’une liberté fondamentale serait constitutif d’une dérive sectaire ! Cela apparait particulièrement choquant.

Concernant l’entrisme dans le milieu hospitalier : les Témoins de Jéhovah ont institué des comités de liaison hospitaliers afin de « promouvoir et de faciliter le dialogue et l’information entre les patients de leur obédience et la structure sanitaire » [24]. Didier Houssin, alors directeur général de la santé au ministère de la santé et des solidarités, eut une approche très équilibrée sur l’utilité de ces comités de liaison hospitaliers lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire de 2006, en déclarant : « On peut concevoir qu’ils servent de lien entre les professionnels de santé et les adeptes de cette Église. J’aurais tendance à dire : pourquoi pas ? (...) Et après tout, il est possible que ces comités de liaison aient pu faciliter les choses plutôt que les aggraver. » [25]

Rappelons aussi les propos de Didier Leschi (alors chef du Bureau central des cultes au ministère de l’intérieur) lors de son audition devant la commission de 2006 : « Si l’on se pose la question des hôpitaux, c’est bien que les Témoins de Jéhovah se rendent en milieu hospitalier et n’hésitent pas à utiliser les structures publiques (…). Nous sommes loin d’une volonté de se couper du monde (…) » et de conclure de manière non équivoque à « l’absence de trouble à l’ordre public » [26].

Également, plus d’un millier de leurs associations bénéficie du statut d’association cultuelle, le Conseil d’État ayant jugé que leurs activités ne troublaient pas l’ordre public [27]. Ainsi, l’absence de trouble à l’ordre public caractérise pleinement l’inexistence de dérive sectaire.

Les rapports des missions interministérielles

La première mission interministérielle consacrée aux sectes fut la Mission interministérielle de lutte contre les sectes (Mils) instituée auprès du Premier ministre français, créée par le décret n° 98-890 du 7 octobre 1998 pour succéder à l’Observatoire interministériel sur les sectes créé le 9 mai en 1996 par le décret n° 36-387, avec pour objectif d’analyser le phénomène des sectes. La Mils publia trois rapports annuels d’activité. Le 28 novembre 2002, le décret n° 2002-1392 pris par le président de la République abrogea celui créant la Mils et institua la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui est aussi amenée à publier un rapport annuel d’activité.

Interrogé par un député souhaitant connaitre l’opinion du ministre de l’intérieur sur le récent rapport 2011-2012 de la Miviludes, le ministre de l’intérieur exprima son opinion sur le rapport objet de la question du parlementaire puis de manière générale sur l’utilité des rapports émis par cette mission en déclarant : « sur le fondement des propositions évoquées dans le rapport annuel de la mission, le ministère de l’intérieur publie également chaque année, une circulaire aux préfets indiquant les orientations du ministère en matière de lutte contre les dérives sectaires pour l’année à venir, où il réaffirme constamment la nécessité de poursuivre une politique de vigilance, de prévention et, le cas échéant, de répression en matière de dérives sectaires. La dernière circulaire est datée du 26 décembre 2012. » [28]

Bien que le rapport annuel puisse servir de fondement au ministère de l’intérieur pour définir ses orientations annuelles en matière de lutte contre les dérives sectaires, le juge administratif déclare que ce rapport annuel d’activité ne peut servir de fondement, par lui-même, à une procédure administrative ou judiciaire à l’encontre des personnes qu’il cite et n’emporte aucun effet juridique, alors même que l’administration pourrait éventuellement s’y référer en tant que document d’information générale [29].

Si une autorité administrative est amenée à prendre une décision sur le fondement d’un tel rapport, cette décision pourra être attaquée devant le juge administratif qui l’annulera car entachée d’erreur de droit [30].

De manière générale concernant le contenu du rapport annuel d’activité, la CAA de Bordeaux a rappelé dans un arrêt du 7 novembre 2006 « que si le Premier ministre doit, avant de rendre public ce rapport, s’assurer que sa publication, tel qu’il a été élaboré, n’est de nature à porter atteinte à aucun intérêt général, il ne lui appartient de contrôler ni l’exactitude de tous les éléments rapportés, ni les appréciations formulées par l’auteur du rapport » et d’ajouter que même si « le rapport contiendrait des indications sujettes à interprétation, cela ne serait pas de nature à faire regarder le Premier ministre comme ayant commis, en ne s’opposant pas à la publication du rapport ou en rejetant implicitement la demande de publication d’un rapport rectifié, une faute de nature à engager la responsabilité de l’État (…). » [31]

De plus, la CAA de Lyon a jugé que quand bien même le rapport de la Mils « comporte quelques imprécisions » et « qu’eu égard aux risques que peuvent présenter les pratiques de certains organismes communément appelés sectes, alors même que ces mouvements prétendent également poursuivre un but religieux, la décision de diffuser largement le rapport litigieux ne méconnaît ni le principe de neutralité du service public, ni le principe de laïcité de la République rappelé par l’article 1er de la Constitution, ni le principe de la liberté religieuse garanti notamment par l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (…). » La CAA de Lyon va préciser que « la publication de ce document (…) dans les “rapports officiels” de la documentation française ne revêt qu’un caractère informatif et ne traduit pas, par elle-même, une volonté du Premier ministre de s’approprier les analyses et conclusions de ce rapport. » [32]

Également, le TA de Paris, dans un jugement du 28 janvier 2010, a rappelé que la Miviludes devrait, dans son rapport annuel, « faire preuve de plus de prudence et de discernement en évitant les approximations et les amalgames hâtifs entre des mouvements aux idéologies et pratiques très différentes (…). » Cependant, il va préciser que « le rapport incriminé, compte tenu de sa mission d’information du public sur les risques, et le cas échéant les dangers, auxquels les dérives sectaires l’exposent, et de l’intérêt qui s’attache à la protection de la santé et de la sécurité des personnes, n’a porté atteinte, dans les circonstances de l’espèce, ni à l’obligation d’impartialité qui s’impose à l’autorité administrative, ni au principe de la liberté de culte. » [33]

De telles imprécisions, approximations, amalgames hâtifs ou indications sujettes à interprétation peuvent-ils engager la responsabilité pénale de l’auteur du rapport pour diffamation publique ? Le juge judiciaire répond par l’affirmative.

À titre d’exemple, l’association Société Française de défense de la Tradition, Famille et Propriété – TFP et son président ont assigné pour diffamation publique Georges Fenech, alors président de la Miviludes à l’époque des faits, pour des propos contenus dans son rapport d’activité pour 2008. La 17e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris, spécialisée dans les affaires de presse, va retenir le caractère diffamatoire des propos incriminés et relever que « la plus grande rigueur peut être attendue quant aux vérifications mises en œuvre et à la prudence dans l’expression lorsque le texte émane d’un organisme étatique placé auprès du Premier ministre qui ne saurait se livrer à des approximations. » [34] Signalons que cette condamnation en première instance n’est pas définitive, Georges Fenech ayant fait appel [35].

Ce n’est pas la première fois qu’un membre de cette Mission connait des démêlés judiciaires du fait de propos tenus dans un ouvrage consacré aux mouvements sectaires. Citons le cas du contentieux ayant opposé l’association Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix (Amorc), à Catherine Picard alors députée et Anne Fournier alors chargée de mission à la Mils.

L’Amorc n’avait pas été listé parmi les 172 sectes citées dans le rapport parlementaire de 1995. Le rapport suivant, sur « Les sectes et l’argent » du 10 juin 1999 a inclus l’Amorc dans la liste des mouvements sectaires, notamment du fait que ce mouvement remplissait certains des critères sectaires retenus dans le rapport de 1995.

En septembre 2002, la société Presses universitaires de France va publier un ouvrage intitulé Sectes, démocratie et mondialisation rédigé par Catherine Picard et Anne Fournier. Les auteurs imputaient à ce mouvement « d’être une structure mafieuse au mode de fonctionnement comparable à celui de la grande criminalité organisée, de faire partie avec d’autres mouvements, d’une organisation occulte (…), de soutenir des théories racistes et attentatoires aux libertés ». Cet ouvrage insinuait aussi « qu’un grand maître de l’association AMORC aurait joué un rôle important dans l’affaire de l’Ordre du temple solaire (OTS) et n’aurait été épargné par l’enquête judiciaire qu’en raison de la “forme de protection” dont bénéficierait l’association du fait de ses liens solides avec les réseaux africains des grands présidents français (…). »

L’Amorc, estimant que de tels propos étaient diffamatoires, va assigner les auteurs et l’éditeur du livre pour diffamation publique. Dans son arrêt du 22 mars 2006, la cour d’appel de Paris va rejeter la demande de l’association, car selon elle, les propos précités de l’ouvrage, fort éloignés des autres passages poursuivis, « ne citaient l’association AMORC pas plus que d’autres mouvements sectaires mais exprimaient des généralités sur la nature et le fonctionnement des sectes et que s’agissant d’une opinion d’ordre général, il était prétendu à tort que ces passages étaient diffamatoires ».

La cour d’appel va également considérer que les auteurs étaient de bonne foi car « les propos s’appuyaient sur des parutions, un rapport et une importante documentation que les auteurs se disant spécialistes du problème traité reprenaient à leur compte (…). » [36] L’association s’est pourvue en cassation.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 3 avril 2007, a accueilli son pourvoi. La Haute juridiction va souligner que les propos rapportés dans cet ouvrage « assimilant les sectes à “des groupes totalitaires”, au “nazisme” ou au “stalinisme” et leur imputant “d’extorquer” l’adhésion de leurs adeptes, sur lesquels elles exercent des moyens de pression de nature à leur faire perdre tout libre arbitre ainsi qu’à “des zones de non droit” et les comparant à “la mafia” étant susceptibles de preuve et d’un débat contradictoire, sont diffamatoires à l’égard de l’ensemble des mouvements qualifiés de sectes et par conséquent de l’association AMORC dès lors qu’il résulte de l’ouvrage incriminé qu’elle en est une (…). »

Elle va aussi juger que « la cour d’appel n’a pas caractérisé la prudence et la mesure dans l’expression, ni la fiabilité de l’enquête nécessaire à l’admission du fait justificatif de la bonne foi et a ainsi violé » les articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [37].

Suite à cet arrêt et pour éviter une condamnation, les mis en cause rédigeront une attestation dans laquelle ils affirmeront avoir eu dans leur livre des propos diffamatoires à l’encontre de l’Amorc et qu’en l’absence de signalement sur le mouvement, celui-ci « ne présente pas un caractère sectaire » [38].

Aussi, Janine Tavernier, présidente de l’Unadfi de 1993 à 2001, dans la préface du livre de Serge Toussaint, « Secte » sur ordonnance, les Rose-Croix témoignent (Diffusion Traditionnelle, 2006), va affirmer à titre personnel que l’Amorc n’est pas une « secte ». Elle déclare : « C’est pour rester fidèle à moi-même, à mes convictions, refusant le silence et la lâcheté, que j’ai accepté de m’associer à ce livre qui dénonce l’injustice dont l’AMORC a été victime en ayant été classé comme secte. » Également, dans une interview publiée dans le journal Le Monde, elle s’exprima ainsi : « Quand Jean-Michel Roulet a pris la présidence de la Miviludes, en 2005, je lui ai fait confiance. Puis j’ai vu qu’il avait épinglé l’Amorc (…) dans le rapport 2006. Ce n’est pas sérieux. » [39]

En 2008, Jean-Michel Roulet adressa un courrier à l’Amorc dans lequel il confirma « que nulle dérive de nature sectaire n’a été rapportée à la M.I.V.I.L.U.D.E.S. à l’encontre de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix, dont l’objet, au terme des documents que vous m’avez remis, ressort comme étant d’inspiration culturelle, philosophique et ésotérique. » Le lecteur ne peut être qu’invité à consulter l’ensemble des attestations et témoignages d’éminents spécialistes issus de l’Unadfi, du CCMM, de la Miviludes… sur le site internet de l’Amorc (www.rose-croix.org/questions/attestations_1.html) pour constater la volte-face que certains de leurs membres opèrent afin d’éviter toute condamnation pénale et/ou pour ne pas heurter les conceptions idéologiques, philosophiques et les convictions religieuses de certains de leurs partenaires historiques dans la lutte contre les mouvements sectaires.

En conclusion, éprouvons les mots que nous lisons dans les rapports des missions d’enquêtes parlementaires et des missions interministérielles dédiées aux dérives sectaires.

Olex.