CAA Lyon, 24 mai 2012
Aumônier - Agrément - Prison - Demande insuffisante

- Modifié le 3 avril 2023

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE LYON
 
N° 11LY01352

 
Inédit au recueil Lebon
 
4e chambre - formation à 3
 
M. du BESSET, président
 
M. Thierry BESSE, rapporteur
 
Mme VINET, rapporteur public
 
GONI, avocat(s)
 
lecture du jeudi 24 mai 2012
 

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 
Vu le recours, enregistré le 7 juin 2011, du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES ;
 
Le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES demande à la Cour d’annuler le jugement n° 0905571 du 12 avril 2011 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a annulé la décision du 20 juillet 2009 par laquelle le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lyon a refusé de délivrer à M. Karim A un agrément en qualité d’aumônier bénévole des établissements pénitentiaires ;
 
Il soutient que, de même que toute association qui exercerait un culte ne serait pas une association cultuelle, toute demande d’agrément d’un aumônier n’a pas à être satisfaite ; que le conseil de l’Europe interprète les dispositions de l’article 29-2 des règles pénitentiaires européennes comme imposant seulement l’agrément d’un représentant des religions lorsqu’un nombre important de détenus est membre de cette religion ; que le nombre de détenus se revendiquant du culte des Témoins de Jéhovah n’était pas suffisant ; que le détenu que devait assister M. A ne se voit pas empêcher la pratique d’un culte ; que la décision attaquée n’a pas méconnu les articles D. 432 et D. 433 du code de procédure pénale, lesquels exigent seulement que l’administration pénitentiaire permette aux détenus de se conformer aux exigences de leur vie religieuse ; que l’exercice des libertés fondamentales en prison étant subordonné aux contraintes inhérentes à la détention, le refus ainsi opposé n’a pas porté atteinte à l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que la décision ayant été prise au regard d’une donnée objective, à savoir le nombre de pratiquants incarcérés, elle n’a pas été prise en méconnaissance des stipulations de l’article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que le moyen tiré de la méconnaissance des articles 18 et 19 du pacte international sur les droits civils n’est pas assorti de précisions suffisantes ; que M. A ne peut se prévaloir de la déclaration universelle des droits de l’homme ;
 
Vu le jugement et la décision attaqués ;
 
Vu le mémoire, enregistré le 14 septembre 2011, présenté pour M. Karim A, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l’Etat une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
 
Il soutient que les associations des Témoins de Jéhovah ont été reconnues comme bénéficiant du statut d’associations cultuelles au sens de la loi du 9 décembre 1905 ; que seul l’ordre public, qui n’est pas invoqué, serait susceptible de justifier une limite à l’exercice du culte ; qu’aucune disposition législative ni réglementaire ne fait du critère du nombre de personnes détenues intéressées, un critère justifiant la mise en place d’une aumônerie ; que les règles pénitentiaires européennes ne sont pas opposables ; qu’au demeurant, l’article 29.2 de ces règles prévoient que le régime carcéral doit être organisé autant que possible de manière à permettre aux détenus de pratiquer leur religion ; que l’administration a entendu rejeter la demande du fait du caractère prétendument sectaire de l’association des témoins de Jéhovah ; que la décision a méconnu les dispositions de l’article 26 de la loi du 24 novembre 2009 et l’article R. 57-9-3 du code de procédure pénale ; que la décision attaquée a méconnu les articles 9 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; qu’il a bien été porté atteinte à la pratique du culte de la personne incarcérée concernée ; que la pratique d’un culte en prison ne peut se faire que dans le cadre de l’aumônerie pénitentiaire ; qu’au demeurant, un permis de visite lui a été refusé ; que la décision attaquée méconnaît l’article 18 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui proclame la liberté de manifester sa religion, et l’article 19 du même pacte, qui dispose que toute personne a droit à la liberté de recevoir et de répandre des informations ;
 
Vu les autres pièces du dossier ;
 
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
 
Vu le code de procédure pénale ;
 
Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
 
Vu le code de justice administrative ;
 
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
 
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 3 mai 2012 :
 
 le rapport de M. Besse, premier conseiller,
 
 les conclusions de Mme Vinet, rapporteur public,
 
 et les observations de Me Trizac, représentant M. A ;
 
Considérant que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, relève appel du jugement du 12 avril 2011 par lequel le Tribunal administratif de Lyon a annulé la décision en date du 20 juillet 2009 du directeur interrégional des services pénitentiaires de Lyon refusant de délivrer à M. Karim A un agrément en qualité d’aumônier bénévole des établissements pénitentiaires ;
 
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 susvisée : “ La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. “ ; qu’aux termes des stipulations de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : “ Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. / La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, et à la protection des droits et libertés d’autrui. “ ; qu’aux termes de l’article D. 432 du code de procédure pénale, dans sa rédaction alors applicable : “ Chaque détenu doit satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle. / Il peut à ce titre participer aux offices ou réunions organisés par les personnes agréées à cet effet. “ ; qu’aux termes de l’article D. 433 du même code : “ Le service religieux est assuré, pour les différents cultes, par des aumôniers désignés par le directeur régional qui consulte à cet effet l’autorité religieuse compétente, et après avis du préfet./ (...) “ ;
 
Considérant en premier lieu, que la demande d’agrément en tant qu’aumônier bénévole des établissements pénitentiaires présentée par M. A pouvait être instruite au regard des dispositions des articles D. 433 et suivants du code de procédure pénale, dès lors que l’association “ Les Témoins de Jéhovah de France “ constitue une association cultuelle régie par la loi du 9 décembre 1905 susvisée ;
 
Considérant, en deuxième lieu, que si la liberté de culte en milieu carcéral s’exerce sous réserve des prérogatives dont dispose l’autorité administrative aux fins de préserver l’ordre et la sécurité au sein des établissements pénitentiaires, aucune disposition législative ou réglementaire ne conditionne la désignation d’un aumônier à un nombre minimum de détenus susceptibles de recourir à son assistance spirituelle ; que le GARDE DES SCEAUX ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l’article 29-2 des règles pénitentiaires européennes, qui n’ont pas d’effet contraignant et ne prévoient pas au demeurant une telle restriction au droit de culte ; que, dès lors, le directeur interrégional des services pénitentiaires de Lyon s’est fondé sur un motif qui n’était pas de nature à justifier légalement son refus ;
 
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lyon a annulé la décision litigieuse ;
 
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
 
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. A ;
 
DECIDE :
 
Article 1er : Le recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES, est rejeté.
 
Article 2 : L’Etat versera à M. Karim A une somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
 
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES et à M. Karim A.