Statut en Europe

Statut juridique des Témoins de Jéhovah en Russie
Dissolution des associations comme « organisations extrémistes » - Interdiction des activités cultuelles - Persécution religieuse

- Modifié le 5 juillet 2017

Les Témoins de Jéhovah représentent en Fédération de Russie une communauté chrétienne rassemblant presque 300 000 fidèles et sympathisants, dont 170 000 pratiquants réguliers. Après avoir été officiellement enregistrés le 27 mars 1991 par un document officiel signé par le ministre de la Justice de Russie [1], les Témoins de Jéhovah ont obtenu du ministère de la Justice le renouvellement de leur enregistrement au niveau fédéral comme organisation religieuse le 29 avril 1999. Conformément à la loi de 1997 sur « La liberté de conscience et les organisations religieuses », le nom officiel Centre administratif pour les Témoins de Jéhovah de Russie, par l’emploi du mot « Russie », indique que leur mouvement existe dans le pays depuis plus de 50 ans [2]. Selon les données du ministère de la Justice russe en 2009, 409 associations cultuelles des Témoins de Jéhovah figuraient parmi les 23 313 organisations religieuses enregistrées [3].

À l’inverse, les juridictions de Moscow ont décidé de dissoudre leur association locale à la demande d’une association proche de l’Église orthodoxe, ce qui a entraîné l’interdiction de leurs activités dans la capitale russe. Quant au département de la Justice moscovite, il a rejeté à plusieurs reprises les demandes de réinscription des Témoins de Jéhovah, comme l’exigeait la loi de 1997 pour pouvoir poursuivre la pratique de leur culte.

La Cour européenne des droits de l’homme a condamné unanimement la Russie pour violation des articles 9 (droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion) et 11 (liberté de réunion et d’association) de la Convention européenne des droits de l’homme [4]. Son arrêt fort étayé du 10 juin 2010 a logiquement conclu que « la dissolution de la communauté a constitué une sanction excessivement sévère et disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi par les autorités », puisqu’elle « ne reposait pas sur une base factuelle adéquate ».

La juridiction siégeant à Strasbourg a pris la peine de reprendre une par une toutes les accusations portées contre les Témoins de Jéhovah et les a rejetées en apportant des arguments solides :

 Selon elle, « les juridictions internes n’ont pas avancé de motifs pertinents et suffisants pour montrer que la communauté requérante avait forcé des individus à rompre avec leur famille, qu’elle avait porté atteinte aux droits et libertés de ses membres ou de tiers, qu’elle avait incité ses adeptes à se suicider ou à refuser des soins, qu’elle avait porté atteinte aux droits des parents ne faisant pas partie de ses membres ou à leurs enfants, ou encore qu’elle avait encouragé ses membres à refuser de respecter une quelconque obligation légale ».

 Les supposées contraintes imposées, que ce soient la prière, l’activité d’évangélisation ou les choix en matière de divertissements, « ne sont pas fondamentalement différentes de contraintes analogues imposées par d’autres religions à leurs fidèles dans la sphère privée ».

 Le refus des transfusions sanguines n’apparaît pas suffisant pour justifier « une mesure aussi radicale que l’interdiction de ses activités », d’autant que le droit russe assure la liberté de choix thérapeutique.

Finalement, en application de cet arrêt de la CEDH, le ministère de la Justice russe a enregistré officiellement la Communauté religieuse des Témoins de Jéhovah de Moscou le 27 mai 2015 [5].

Tandis qu’au 1er janvier 2017 le culte des témoins de Jéhovah comptait 398 organisations religieuses officiellement enregistrées [6], le ministère de la Justice a demandé à la Cour suprême de « déclarer extrémiste l’organisation religieuse des Témoins de Jéhovah (leur Centre administratif), interdire ses activités et la dissoudre », selon ce qui était indiqué le 15 mars 2017 sur le site de la juridiction [7]. Le 20 avril 2017, la Cour suprême a accédé à la demande des autorités russes en prononçant non seulement la fermeture du siège national, l’interdiction de ses activités, la clôture de ses comptes bancaires et la confiscation de ses biens immobiliers, mais encore la dissolution de toutes les associations cultuelles locales et la saisie confiscatoire de tous leurs lieux de culte [8]. La presse y voit évidemment le retour en force de la « puissante Église orthodoxe [9] », sachant que « depuis une vingtaine d’années, le Patriarcat de Moscou s’engage notamment dans une violente campagne contre les Témoins de Jéhovah et autres mouvements minoritaires [10] ». Cette mesure officielle a eu pour conséquence d’intensifier la persécution des Témoins de Jéhovah au sein de la société russe : interruptions d’offices religieux par des descentes de police, actes de vandalisme contre des lieux de culte et même des maisons privées, humiliations d’enfants et de leurs parents à l’école, licenciements pour appartenance à une religion classée « extrémiste » [11]...

Cette interdiction du culte des Témoins de Jéhovah en Russie a été largement condamnée au niveau international, tant par les organisations de défense des droits de l’homme (Human Rights Watch [12], Forum pour la liberté religieuse - Europe conjointement avec Droits de l’homme sans frontières [13], Association Internationale pour la Défense de la Liberté Religieuse [14]) que par diverses instances internationales. Pour l’Union européenne, l’envoyé spécial pour la promotion de la liberté de religion Jan Figel a déclaré le 21 avril 2017 que l’interdiction des Témoins de Jéhovah constituait « un coup à la liberté de religion et de croyance [15] » et la porte-parole du Service européen pour l’action extérieure Maja Kocijančič a officiellement établi : « Les Témoins de Jéhovah, au même titre que tous les autres groupes religieux, doivent pouvoir jouir paisiblement de leur liberté de réunion sans ingérence, telle que la garantit la Constitution de la Fédération de Russie ainsi que les traités internationaux signés par la Russie et les normes internationales relatives aux droits de l’homme [16]. » Du côté de l’OSCE, le directeur du Bureau des Institutions Démocratiques et des Droits de l’Homme (BIDDH) Michael Georg Link s’est dit « profondément préoccupé par cette criminalisation injustifiée des activités pacifiques des membres des communautés de Témoins de Jéhovah en Russie [17] ». Sans oublier la Commission sur la liberté religieuse internationale des États-Unis (USCIRF), qui « condamne la décision de la Cour suprême russe de bannir les Témoins de Jéhovah [18] » dans un communiqué de presse du 20 avril 2017.

Plusieurs pays sont intervenus pour demander au gouvernement russe de respecter ses engagements internationaux en faveur de la liberté de culte. Par l’intermédiaire du porte-parole du ministère des Affaires étrangères Martin Schaefer, le gouvernement allemand a exprimé ses inquiétudes au sujet de la décision de la Cour suprême de condamner les Témoins de Jéhovah en tant qu’organisation extrémiste et d’interdire ses activités [19], question que la Chancelière allemande Angela Merkel a franchement abordée durant sa conférence de presse conjointe avec Vladimir Poutine, lors de leur rencontre en mai 2017 [20]. De son côté, le gouvernement britannique s’est dit « alarmé » par cette interdiction et a lancé un appel à Vladimir Poutine pour défendre la liberté religieuse, en estimant que la décision de la Cour suprême « criminalise le culte pacifique de 175 000 citoyens russes [21] ».